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APOLOGIE DE SOCRATE

Athènes était alors le lieu d’élection de la pensée. Le commerce des manuscrits y était plus actif que partout ailleurs ; on y avait plus de facilités qu’en aucun autre lieu pour lire les œuvres qui avaient déjà signalé en Grèce les débuts de la science et de la philosophie. En outre, à partir du milieu du siècle surtout, les hommes remarquables y affluaient des diverses parties du monde grec. Anaxagore venait s’y fixer vers 460 et y publiait son Traité de la Nature. Puis, ceux qu’on appelait sophistes, c’est-à-dire les savants qui faisaient profession d’enseigner leur science, y donnaient des conférences retentissantes, qui passionnaient la jeunesse et qui partageaient l’opinion. Si le prix élevé de leurs leçons ne permettait guère qu’aux riches de les suivre, il était facile du moins à un esprit curieux et attentif d’en recueillir les échos. C’est ce que Socrate ne manqua pas de faire.

Mais la nature ne l’avait pas prédestiné au rôle modeste de disciple. Son génie original et indépendant trouva promptement sa voie. Il n’était pas de ceux que les affirmations dogmatiques satisfont aisément. Loin de le contenter, elles excitaient sa pensée, provoquaient ses doutes, stimulaient ses réflexions. Les questions naissaient spontanément du fond de cette intelligence pénétrante et scrutatrice. Là où les autres approuvaient, il voyait, lui, matière à interroger. Et, en interrogeant, il s’apercevait que la plupart des affirmations énoncées résistaient mal à l’examen. Il y eut ainsi, dans sa vie, une période décisive, entre 25 et 35 ans environ. Ce fut celle où il jugea ce qu’on appelait alors la science et se définit à lui-même le rôle qui lui convenait.

Considérant les sciences de la nature, où tant d’hypothèses hasardeuses se mêlaient alors à quelques intuitions justes et à quelques observations profondes, mais invérifiables, il lui parut qu’elles dépassaient la portée de l’esprit humain. Son bon sens positif répugnait à ces aventures ; et, peut-être même, inquiétaient-elles en lui un fond d’esprit traditionnel et religieux. En tout cas, il leur reprochait de détourner les hommes qui s’y livraient d’une recherche autrement utile, de leur faire négliger la connaissance indispensable, celle du vrai bien.

Car ce philosophe était avant tout épris de vertu. Détaché de tout intérêt matériel, de toute ambition, il orientait uniquement sa vie vers ce but. La vertu était si belle à ses yeux,