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APOLOGIE DE SOCRATE

cieusement. Seulement, il est bien possible que vous vous impatientiez, comme des gens ensommeillés qu’on réveille, et qu’alors, dans un mouvement de colère, vous écoutiez Anytos et me fassiez mourir étourdiment. Après quoi, vous passeriez le reste de votre vie à dormir ; à moins que le dieu, prenant souci de vous, ne vous envoyât quelqu’un pour me suppléer. En tout cas, vous pouvez vous convaincre que je suis bien, moi, un homme donné à la ville par la divinité : b demandez vous s’il est humainement possible de négliger, comme moi, tous ses intérêts personnels, d’en supporter les conséquences depuis tant d’années déjà, et cela pour s’occuper uniquement de vous, en prenant auprès de chacun le rôle d’un père ou d’un frère aîné, en le pressant de s’appliquer à devenir meilleur. Oh ! s’il m’en revenait quelque profit, si je vous donnais ces conseils moyennant salaire, ma conduite s’expliquerait. Mais vous le voyez bien vous-mêmes, mes accusateurs, qui ont amassé contre moi tant de griefs si impudemment, n’ont pas eu le front cependant de susciter un seul témoin c pour déposer ici que jamais je me sois fait payer ou que j’aie rien demandé. Pourquoi ? parce que, en fait de témoins, j’en produis un, moi, qui atteste assez que je dis vrai : c’est ma pauvreté.


Pourquoi Socrate s’est abstenu de prendre part aux affaires publiques.

Une chose, toutefois, peut sembler étrange. D’où vient que, prodiguant ainsi mes conseils çà et là à chacun en particulier et me mêlant un peu de tout, je n’ose pas agir publiquement, parler au peuple ni donner des conseils à la ville ?

Cela tient, — comme vous me l’avez souvent entendu déclarer et en maint endroit, — à une certaine manifestation d’un dieu d ou d’un esprit divin, qui se produit en moi, et dont Mélétos a fait le sujet de son accusation, en s’en moquant. C’est quelque chose qui a commencé dès mon enfance, une certaine voix, qui, lorsqu’elle se fait entendre, me détourne toujours de ce que j’allais faire, sans jamais me pousser à agir. Voilà ce qui s’oppose à ce que je me mêle de politique. Je crois d’ailleurs que cet empêchement est très heureux. Car sachez-le bien. Athéniens : si je m’étais adonné, il y a longtemps, à la politique, je serais mort depuis longtemps ; et ainsi je n’aurais été utile ni à vous, ni à moi-même.