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NOTICE

En somme, qu’a démontré Socrate ? 1° Que la vraie piété ne peut pas être séparée de la justice ; 2° que le culte même n’aurait aucune valeur en dehors de cette union intime, ou, en d’autres termes, qu’il doit être avant tout l’hommage d’une conscience pure à une justice supérieure.

Ainsi se dégage la religion qui était la sienne, religion essentiellement morale, désireuse de s’accommoder des formes traditionnelles, mais à condition d’y infuser un esprit nouveau, bien décidée en tout cas à n’accepter aucune mythologie contraire aux lois éternelles de l’humanité. Il suffit à cette religion de se laisser entrevoir pour juger et condamner celle d’Euthyphron, pour en révéler la grossièreté, la superstition, la misère morale ; et, en même temps, pour faire sentir combien celle-ci était, par nature, incapable de comprendre celle-là. Ainsi nous est expliquée l’insuffisance de l’Apologie. Euthyphron est en quelque sorte le type de cette ignorance naïve et incurable qui avait condamné Socrate. Elle est seulement doublée chez lui d’une fatuité, destinée à la rendre plus visible.

Le dialogue, comme œuvre philosophique, est d’une étoffe un peu mince ; on n’y sent pas encore cet essor de pensée et d’imagination, cette hardiesse qui allaient bientôt se donner carrière dans des œuvres autrement puissantes. Rien non plus des aspirations mystiques qui, plus tard, devaient se manifester dans le Banquet, dans le Phèdre, dans la République. L’auteur n’est encore vraiment qu’un socratique, plein d’esprit, ingénieux interprète de la pensée de son maître et désireux de la faire connaître. Sa propre personnalité se marque surtout par un sens dramatique déjà vif et alerte, par un talent d’écrivain très remarquable. L’ouvrage n’a pas l’importance de l’Apologie, mais il en est un complément indispensable.