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EUTHYPHRON

démontrer que l’acte de ton père est injuste et que tous les dieux le tiennent pour haïssable.

Euthyphron. — Certes, je le démontrerai clairement, Socrate, pourvu qu’ils m’écoutent.


Troisième définition.

Socrate. — Ils t’écouteront, n’en doute pas, pourvu que tu leur sembles parler c bien. Mais une idée m’est venue pendant ta réponse et voici ce que je me suis dit : « Quand même Euthyphron m’enseignerait le mieux du monde que tous les dieux tiennent pour injuste ce meurtre, comment aurais-je mieux appris de lui par là ce qui est pieux et ce qui est impie ? L’acte en question serait alors, à l’en croire, réprouvé par les dieux. Seulement nous venons de voir que ce n’est pas ainsi qu’il faut définir ce qui est pieux et ce qui est impie ; car nous avons reconnu que telle chose réprouvée par des dieux est cependant aussi approuvée par des dieux. » En conséquence, Euthyphron, je te tiens quitte de cette démonstration. Admettons, si tu le veux, que tous les dieux d regardent cet acte comme injuste et le réprouvent. Mais, si nous rectifions ainsi notre proposition et si nous disons que ce qui est réprouvé de tous les dieux est impie, que ce qui est approuvé de tous est pieux, enfin que ce qui est approuvé des uns, réprouvé des autres, n’est ni l’un ni l’autre ou bien est à la fois pieux et impie, est-ce là, selon toi, une définition de ces deux idées que nous devions adopter ?

Euthyphron. — Pourquoi pas, Socrate ?

Socrate. — Oh ! moi, je ne m’y oppose pas ; mais toi, considère bien — car c’est ton affaire — si, en admettant cela, tu pourras m’enseigner aisément ce que tu m’as promis.

Euthyphron. — Mais oui, j’affirmerais volontiers, moi, que l’action e pieuse est celle qui est approuvée de tous les dieux, tandis qu’au contraire ce qui est réprouvé de tous est impie.

Socrate. — Tu l’affirmes, Euthyphron ; mais ne devons-nous pas examiner maintenant si tu l’affirmes avec raison ? Ou bien, faut-il nous en tenir là et ne rien demander de plus désormais ni à nous-mêmes ni aux autres, mais accepter pour vrai tout ce que quelqu’un affirmera ? n’y a-t-il pas lieu d’examiner ce qu’on nous dit ?

Euthyphron. — Examinons ; mais, pour moi, je suis fixé : ce que je viens de dire est bien dit.