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CRITON

principes, prenait volontiers conseil de lui dans ses embarras ou ses peines[1].

Nous avons affaire, par conséquent, à un personnage bien réel, que Platon a connu et qu’il a pu interroger. Est-ce à dire que l’entretien mis en scène doive être considéré comme authentique et que l’auteur ait simplement rapporté ce que Criton lui avait raconté ? Rien n’est moins probable. Le caractère fictif de l’Apologie, celui du Phédon, compositions qui sont cependant présentées comme des images fidèles de la réalité, doivent nous mettre en garde contre une hypothèse qui pourrait, au premier abord, sembler naturelle. Non pas que la donnée essentielle puisse être tenue pour une invention. Socrate a été certainement sollicité de fuir ; ses amis lui en ont offert le moyen ; il a refusé[2]. Cela, Platon ne pouvait l’inventer ; il ne lui convenait pas d’imaginer un roman pour faire honneur à son maître. Mais comment douter que ces instances amicales n’aient été faites par plusieurs personnes tour à tour ? qu’elles n’aient été renouvelées à plusieurs reprises et sous plusieurs formes ? Criton, à coup sûr, y a participé ; rien de plus vraisemblable. Ce qui l’est peu, c’est qu’il ait été député à Socrate, au nom de tous, pour une démarche unique, et que toutes les raisons, alléguées de part et d’autre, aient été condensées en un seul entretien. Cette simplification de la réalité est le propre de l’art et elle en manifeste l’intervention. Platon a voulu résumer en une scène idéale ce qui avait été matière de conversations, de discussions, de prières, plus ou moins variées et répétées, selon le caractère de ceux qui avaient essayé de persuader Socrate.

Pour cette discussion ainsi conçue, la forme qu’il choisit fut celle d’une conversation intime entre le condamné et son vieil ami Criton. Cette forme simple convenait à ses propres habitudes. Il ne s’était pas encore essayé à mettre en scène un plus grand nombre de personnages, comme il allait le faire bientôt dans le Charmidès, le Lysis, et les dialogues qui suivirent. D’ailleurs elle s’adaptait bien au sujet et à ses intentions. Socrate, s’entretenant avec le confident de toute sa vie, le témoin de toutes ses pensées, semblerait s’entretenir en quelque sorte avec sa propre conscience. Nul n’était plus auto-

  1. Xén., Mémor., II, c. 9.
  2. C’est ce qu’atteste aussi Xénophon, Apol., 23.