amis ? b qu’il y ait risque pour eux d’être exilés à leur tour, d’être privés du séjour d’Athènes, de perdre leur fortune, on n’en peut guère douter. Mais toi-même, tout d’abord, si tu te rends dans quelqu’une des villes les plus voisines, à Thèbes ou à Mégare, — car l’une et l’autre ont de bonnes lois[1], — tu y arriveras, Socrate, en ennemi de leur constitution, et tous ceux qui, là-bas, ont souci de leur ville te regarderont avec soupçon comme un destructeur des lois ; tu donneras ainsi raison à ceux qui approuvent tes juges, tu feras qu’ils paraîtront avoir bien c jugé. Quiconque en effet détruit les lois peut justement être considéré comme capable de perdre les jeunes gens et les esprits faibles. Faudra-t-il donc que tu évites les villes qui ont de bonnes lois et les hommes qui ont de bonnes mœurs ? Dans ces conditions, sera-ce la peine de vivre ? Ou bien les fréquenteras-tu et auras-tu le front de leur répéter… quoi donc, Socrate ? Ce que tu disais ici, que la vertu, la justice sont ce qu’il y a de plus estimable au monde, ainsi que la légalité et les lois ? Et penses-tu qu’un tel rôle joué par Socrate ne sera pas jugé honteux ? d Qui en douterait ? »
« Mais peut-être t’éloigneras-tu de ces pays-là, pour aller en Thessalie, chez les hôtes de Criton ; c’est l’endroit où il y a le plus de désordre et d’immoralité[2], et peut-être y prendrait-on plaisir à t’entendre raconter de quelle façon bouffonne tu t’es échappé de ta prison, sous quelque travestissement, vêtu d’une casaque de peau ou de quelque autre déguisement à l’usage des esclaves fugitifs, et contrefaisant l’allure d’un autre. Que déjà vieux, quand il te restait vraisemblablement si peu de temps à passer ici-bas, e tu n’aies pas craint de manifester cette fureur de vivre, au mépris des lois les plus importantes, est-ce une chose dont nul ne parlera ? Peut-être, à la rigueur, si tu n’offenses personne. Sinon, Socrate, il te faudra entendre bien des propos indignes. Ce sera donc en flattant tout le monde, en t’asservissant à tous, que tu vivras ? et comment, sinon en festinant, en Thessalie, comme
- ↑ Thèbes et Mégare sont également citées dans le Phédon (99 a) comme les villes où Socrate aurait pu se réfugier en raison de leurs bonnes lois.
- ↑ Cf. Ath. IV, 6, p. 137 et X, 4, p. 418, et Xén. Mém. I, 2, 24.