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HIPPIAS MINEUR

Hippias. — Oui.

Socrate. — Comment le concevrons-nous ? ne faut-il pas, pour qu’il soit trompeur, comme tu en convenais tout à l’heure, qu’il soit capable de tromper ? car celui qui en serait incapable, si tu t’en souviens, tu as déclaré qu’il ne saurait être trompeur.

Hippias. — Je m’en souviens fort bien, je l’ai déclaré.

Socrate. — Et c’est ainsi que tu t’es révélé à l’instant comme le plus capable de mentir en matière de comptes.

Hippias. — En effet, on l’a dit.

Socrate. — Mais n’es-tu pas aussi le plus c capable de dire la vérité à propos de comptes ?

Hippias. — Assurément.

Socrate. — Ainsi, c’est le même homme qui est capable de mentir et de dire vrai en matière de comptes ; et celui-là, c’est l’homme qui excelle à compter, le meilleur comptable.

Hippias. — Oui.

Socrate. — Alors, Hippias, qui donc trompe en matière de comptes, sinon celui qui y excelle ? c’est lui en effet qui en est capable. Et c’est lui aussi qui dit la vérité.

Hippias. — Il y a apparence.

Socrate. — Tu vois qu’en cela le même trompe et dit vrai et que l’homme véridique n’est pas meilleur que le trompeur, d puisqu’ils ne font qu’un, bien loin qu’ils soient opposés l’un à l’autre, comme tu le pensais[1].

Hippias. — En effet, à raisonner ainsi, il ne paraît pas qu’ils soient opposés.

Socrate. — Veux-tu que nous prenions un autre exemple ?

Hippias. — Prenons, si tu veux.

Socrate. — Tu es également versé dans la géométrie ?

Hippias. — Oui, certes.

Socrate. — Eh bien, en géométrie, n’en est-il pas de même ? n’est-ce pas le même homme qui est le plus capable de tromper et de dire vrai à propos de figures, le meilleur géomètre ?

  1. Notons ici le début du paradoxe qui va se développer. Il est certain que le plus habile calculateur est le plus capable de faire volontairement un faux calcul. Seulement, s’il est honnête, il ne le