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HIPPIAS MINEUR

« Dès demain, dit-il, après un sacrifice à Zeus et à tous les dieux, je chargerai mes vaisseaux, je les ferai tirer à la mer, et alors, si tu le veux et si cela t’intéresse, tu verras, le matin, mes vaisseaux voguer jusqu’où finit l’Hellespont poissonneux, etc, sur ces vaisseaux, mes hommes ramant avec ardeur. Puis, si le dieu puissant qui secoue la terre me donne une heureuse traversée, le troisième jour j’atteindrai le rivage fertile de Phtie. »

Il y a plus : précédemment, quand il injuriait Agamemnon, qu’avait-il déclaré ?

« Donc, je vais retourner en Phtie ; car il vaut bien mieux pour moi revenir en mon pays avec mes vaisseaux recourbés ; et je n’ai pas l’intention de demeurer icid, privé d’honneurs, pour t’amasser à toi richesse et trésors[1]. »

Eh bien, après avoir dit cela, soit en présence de l’armée entière, soit devant ses compagnons d’armes, on ne le voit nulle part ni se préparer ni se mettre à tirer ses vaisseaux pour s’en retourner chez lui ; loin de là : le plus bravement du monde, il fait fi de toute sincérité. Voilà pourquoi tout à l’heure, Hippias, je t’interrogeais, ne sachant trop lequel des deux personnages Homère a voulu représenter comme le meilleur ; j’imaginais quee tous deux étaient excellents et qu’il était difficile de décider lequel l’emportait en tromperie ou en véracité, comme en toute autre qualité. Je me disais qu’à cet égard aussi l’un valait l’autre.

Hippias. — C’est que tu ne les juges pas comme il faut, Socrate. Quand Achille parle contre la vérité, ce n’est pas volontairement, c’est malgré lui ; le désastre du camp le contraint à rester et à secourir les siens. Ulysse, au contraire, ment volontairement et par mauvaise intention.

Socrate. — Ah ! vraiment, voici que tu cherches à me tromper, mon très cher Hippias, et, à ton tour, tu fais comme Ulysse.

Hippias. — 371 Moi, Socrate ! en aucune façon ; que veux-tu dire ? comment cela ?

Socrate. — Quoi ! tu prétends qu’Achille ne parle pas avec intention contre la vérité, lui qui non seulement affirme à la

  1. Les deux premières citations sont tirées de la scène des Prières (cf. p. 28), la troisième est un passage de la Querelle entre Agamemnon et Achille, racontée dans le Chant I.