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ALCIBIADE

beau est avantageux. La valeur de cette déduction dépend manifestement de celle de la seconde proposition : « Celui qui se conduit bien est heureux ». Or, elle n’a pas pour nous l’espèce d’évidence qui résultait pour des Grecs de la double signification notée ci-dessus. À la réflexion, pourtant, on reconnaît qu’elle est vraie, mais elle a besoin d’être justifiée. Se bien conduire, c’est se conduire selon la raison. Il n’est pas contestable qu’une conduite déraisonnable n’entraîne des conséquences fâcheuses, et qu’inversement une conduite raisonnable ne nous offre les meilleures chances de bonheur. L’argumentation de Socrate n’est sophistique que dans la forme. Elle est critiquable surtout en ce qu’elle dissimule sous un artifice verbal la valeur de la pensée.

IV. L’ignorance d’Alcibiade relativement au juste et à l’utile est donc avérée. C’est l’occasion pour Socrate de l’inviter à réfléchir sur l’ignorance en général. Par ses questions, il l’amène à distinguer deux sortes d’ignorance : l’une qui consiste simplement à ne pas savoir une chose ; l’autre, bien plus grave et même honteuse, qui consiste à croire que l’on sait ce qu’on ne sait pas. La première était celle que professait Socrate, quand il se donnait lui-même pour un ignorant ; la seconde était celle qu’il rencontrait partout autour de lui et qu’il cherchait à guérir, en l’obligeant à se découvrir.

Ici Platon a inséré un développement assez imprévu et d’un caractère quelque peu satirique. Alcibiade fait observer que, s’il est ignorant, il n’a guère à s’en préoccuper, puisqu’il aura pour rivaux, dans la direction des intérêts du peuple, des hommes politiques non moins ignorants, et qui, d’ailleurs, ne le valent pas. À quoi Socrate répond que ses véritables rivaux ne seront pas ceux-là, mais bien les rois de Lacédémone et les souverains de la Perse. Et là-dessus, Platon fait par sa bouche un éloge étendu des uns et des autres, où se manifestent, avec une certaine ingénuité, les sentiments qu’on éprouvait alors dans son milieu à l’égard de ces deux puissances. Témoignage curieux qui a été pris plus haut en considération pour dater la composition du dialogue[1].

  1. D’où venait à Platon cette connaissance, d’ailleurs bien super-