Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome I.djvu/90

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qui à l’occasion seraient prêts à te servir ; du côté de ta mère, combien d’autres, qui ne sont ni moins nombreux ni moins influents[1] ! Enfin, autre avantage plus considérable, tu as pour toi la puissance de Périclès, fils de Xanthippe, que ton père vous a laissé pour tuteur, à toi et à ton frère ; Périclès, qui peut faire ce qu’il veut, non seulement dans cette ville, mais dans toute la Grèce et chez plusieurs grands peuples barbares. J’ajouterai que c tu es au nombre des riches. Mais c’est de quoi tu parais le moins fier. Enorgueilli par tous ces avantages, tu as pris le dessus sur tes admirateurs et ceux-ci, qui se sentaient inférieurs à toi, s’en sont laissé imposer ; ce dont tu t’es aperçu. Voilà pourquoi tu te demandes, je le sais, quelle idée j’ai de ne pas renoncer à mon amour et dans quel espoir je persiste ainsi, quand les autres ont lâché pied.

Alcibiade. — Mais ce que tu ne sais peut-être pas, Socrate, c’est que tu m’as prévenu de peu. J’avais justement la pensée d de t’aborder le premier, pour savoir de toi ce que tu veux. Qu’espères-tu enfin en m’importunant ainsi, en t’obstinant à me suivre partout ? Vraiment, je me demande ce qui t’a pris et j’aurais plaisir à l’apprendre.

Socrate. — Eh bien, puisque tu désires tant savoir ce que j’ai en tête, tu m’écouteras sans doute de bonne grâce ; je compte sur ton attention et ta patience, et je m’explique.

Alcibiade. — Assurément. Parle donc.

Socrate. — Méfie-toi cependant. Il ne serait pas e étonnant qu’ayant eu tant de peine à commencer, j’en aie autant à finir.

Alcibiade. — Va toujours, mon cher Socrate, je t’écoute.

Socrate. — Bon ; alors causons. Il n’est pas commode de se présenter en amoureux à un homme qui n’accepte aucun amour. N’importe : il faut que je dise hardiment ce que j’ai en tête. Vois-tu, Alcibiade, si tu m’avais paru satisfait des avantages que je viens d’énumérer et décidé à t’en contenter

  1. Clinias, père d’Alcibiade, appartenait à la famille des Eupatrides, qui se disait issue d’Oreste et par conséquent d’Agamemnon. Il possédait de grands domaines et jouissait d’une influence proportionnée. Il périt à la bataille de Coronée, en 446. Alcibiade, alors âgé d’environ 4 ans, fut confié, ainsi que son frère Clinias, à la tutelle de Périclès, son proche parent ; le degré de cette parenté ne peut être déterminé exactement. Platon, sans s’attacher scrupuleuse-