méchant est d’autant plus ennemi du méchant qu’il s’en approche et le fréquente davantage. Le méchant, en effet, commet l’injustice ; or il est impossible que celui qui commet l’injustice et celui qui la subit soient amis. Qu’en penses-tu ? » — « C’est vrai. » — « Ainsi la moitié de cette pensée serait fausse, s’il est vrai que les méchants soient semblables entre eux. » — « Tu dis vrai. »
— « Je suppose qu’ils ont voulu dire que les bons sont semblables entre eux et amis, mais que les méchants, ainsi qu’on le dit d’eux en général, ne sont même pas d’accord avec eux-mêmes, toujours furieux et déséquilibrés. Or ce qui n’a même pas de ressemblance ni d’accord avec soi-même ne saurait guères ressembler à autrui ni lui être ami. Ne penses-tu pas ainsi ? » — « Oui. » — « Ce qu’ils veulent dire, selon moi, mon cher Lysis, en disant que le semblable est ami du semblable, c’est qu’il ne peut exister d’amitié qu’entre les bons, mais que le méchant ne saurait avoir d’amitié véritable ni avec les bons ni avec les méchants[1]. Sommes-nous d’accord ? » — Il fit un signe d’assentiment. — « Nous savons maintenant qui sont les amis : notre raisonnement nous indique que ce sont les bons. » — « C’est tout à fait mon opinion, » dit-il.
— « Je le crois aussi ; cependant il me vient un scrupule. Courage donc, par Zeus, examinons la difficulté que j’entrevois. Le semblable est-il ami du semblable en tant que semblable, et est-il utile comme tel à son ami considéré sous cet aspect ? Ou plutôt : le semblable peut-il procurer au semblable, en tant qu’ils sont semblables, aucun bien ou aucun mal que celui-ci ne puisse se procurer à lui-même ? Peut-il éprouver quoi que ce soit qui ne puisse lui venir de lui-même ? Comment des êtres de ce genre pourraient-ils tirer l’un de l’autre quelque satisfaction, puisqu’ils ne peuvent être d’aucune aide l’un à l’autre ? Est-ce possible ? » — « Non. » — « Mais sans satisfaction, que devient l’amitié ? » — « Elle est impossible. » — « Alors le semblable n’est pas ami du semblable, et si le bon est ami du bon, c’est en tant que bon, non en
- ↑ Chez Empédocle, la ressemblance dont il s’agit est plutôt physique. Socrate, selon son habitude, ne s’intéresse qu’aux choses morales. Les anciens philosophes, au contraire, sont surtout des physiciens ou des métaphysiciens.