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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome II.djvu/272

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tant que semblable ? » — « Probablement. » — « Mais quoi ? Le bon, en tant que bon, ne se suffit-il pas à lui-même ? » — « Oui. » — « Celui qui se suffit à lui-même n’a besoin de rien en tant qu’il se suffit ? » — « C’est évident. » — « Celui qui n’a besoin de rien ne saurait recevoir du dehors aucune satisfaction ? » — « Non ». — « Il ne saurait donc aimer ce qui ne lui donne aucune satisfaction ? » — « Non certes. » — « Or celui qui n’aime pas n’est pas un ami ? » — « Il ne semble pas. » — « Comment donc les bons seraient-ils amis des bons le moins du monde, à notre avis, si l’absence de l’un n’est point pénible à l’autre (car chacun d’eux se suffit, même isolé), et si leur réunion ne leur procure aucun avantage ? Comment deux êtres de cette sorte attacheraient-ils un grand prix à leur intimité ? » — « C’est impossible, en effet. » — « Ils ne seraient donc pas amis, puisqu’ils feraient peu de cas l’un de l’autre. » — « C’est la vérité. »


L’amitié des contraires.

— « Vois, Lysis, dans quel piège nous sommes pris. Nous serions-nous trompés du tout au tout ? » — « Que veux-tu dire ? » — « J’ai naguère entendu affirmer (le souvenir m’en revient à l’instant) que le semblable était en guerre perpétuelle avec le semblable et les bons avec les bons ; et celui qui parlait ainsi s’appuyait sur le témoignage d’Hésiode, qui a dit :

Le potier hait le potier, l’aède hait l’aède,
et le pauvre hait le pauvre[1] ;

et il ajoutait qu’il en est de même en tout ; que par une nécessité universelle, la jalousie, les querelles, l’hostilité règnent entre les choses les plus semblables, comme l’amitié entre les plus différentes ; que le pauvre est forcé d’être l’ami du riche, le faible du fort pour en obtenir du secours, ainsi que le malade du médecin, et que tout ignorant recherche et aime le savant. Il poursuivait en termes plus imposants, déclarant qu’il s’en fallait de tout que le semblable ne fût l’ami du semblable, que la vérité était précisément à l’opposé, et qu’en réalité c’était les contraires les plus extrêmes qui étaient les plus amis. Il disait que chaque chose aspirait à son con-

  1. Hésiode, Travaux, v. 25.