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PROTAGORAS

elle pas bonne et utile ? » — Ils en convinrent. — « Si donc, repris-je, l’agréable est bon, personne, sachant ou pensant qu’une autre action est meilleure que celle qu’il accomplit et qu’elle est possible, ne s’avisera de faire celle qu’il fait, alors qu’il peut faire mieux ; et se laisser vaincre est pure ignorance, tandis que se vaincre est savoir. » — Ils le reconnurent tous. — « Et ceci encore : qu’appelez-vous ignorance sinon le fait d’avoir une opinion fausse et mensongère sur les choses de valeur ? » — Ils m’approuvèrent de nouveau à l’unanimité.

— « Quelle autre conclusion tirer de là, sinon que nul ne tend de son plein gré vers ce qui est ou ce qu’il croit mauvais, qu’il est même contraire, semble-t-il, à la nature de l’homme de rechercher ce qu’on croit mauvais de préférence au bon, et qu’enfin, s’il faut absolument choisir entre deux maux, nul ne préférera le plus grand lorsqu’il peut prendre le moindre ? » — Sur ce point encore, l’accord fut unanime.

— « Autre question, repris-je : existe-t-il quelque chose que vous appelez crainte ou frayeur ? Et est-ce la même chose que celle à laquelle je donne ce nom ? C’est à toi que je m’adresse, Prodicos. J’appelle ainsi, quant à moi, une certaine attente du danger, qu’on l’appelle d’ailleurs crainte ou frayeur. » — Protagoras et Hippias furent d’avis que les deux noms convenaient à la chose, mais Prodicos accepta crainte et rejeta frayeur. — Je répondis : « Peu importe le mot, Prodicos ; mais voici le point essentiel. Si tout ce que nous venons de dire est exact, croirons-nous qu’un homme aille jamais de son plein gré au devant de ce qu’il redoute, dans le cas où il pourrait faire autrement ? Ne résulte-t-il pas nécessairement de tout ce que nous avons admis que c’est là une chose impossible ? Ce qu’il redoute, en effet, nous avons reconnu qu’il le considérait comme un mal ; or, ce qu’on juge mauvais, personne, avons-nous dit, ne le recherche ni ne l’accepte de son plein gré. » — On fut d’accord aussi sur ce point.

— « Ceci étant établi, Prodicos et Hippias, il appartient maintenant à Protagoras de justifier la vérité de sa première affirmation, — non pas la toute première cependant, lorsqu’il disait, à propos des cinq parties de la vertu, qu’aucune n’était identique aux autres mais que chacune avait sa nature