Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome III, 2.djvu/144

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
486 b
166
GORGIAS

Quelle science est-ce là, Socrate, qui[1], « prenant un homme bien doué, le rend pire », hors d’état de se défendre et de sauver des plus grands périls soit lui-même soit tout autre, bon seulement à se laisser dépouiller cde tous ses biens par ses ennemis et en somme à vivre sans honneur dans sa patrie ? Un tel homme, passe-moi cette expression un peu rude, on a le droit de le souffleter impunément.

Crois-moi, mon cher, « laisse-là tes arguties ; cultive des exercices plus chers aux muses » et qui puissent te donner une réputation d’homme sage ; « abandonne à d’autres toutes ces gentillesses », qu’on ne sait si l’on doit appeler des folies ou des sottises, et « qui te conduiront à habiter une maison vide » ; prends pour modèles dnon ces disputeurs de vétilles, mais les hommes qui ont su acquérir la fortune, la réputation et mille autres avantages.


Compliments ironiques de Socrate à Calliclès et règles de discussion.

Socrate. — Si mon âme était d’or, Calliclès, peux-tu douter que je ne fusse heureux de trouver une de ces pierres qui servent à éprouver l’or ? Une pierre aussi parfaite que possible, à laquelle je ferais toucher mon âme, de telle sorte que, si elle était d’accord avec moi pour constater que mon âme avait été bien soignée, je fusse certain du bon état de celle-ci sans autre vérification ?

eCalliclès. — Où tend ta question, Socrate ?

Socrate. — Je vais te le dire : en réalité, je crois avoir fait en ta personne cette précieuse trouvaille.

Calliclès. — Comment cela ?

Socrate. — J’ai la certitude que ce dont tu tomberas d’accord avec moi sur les opinions de mon âme, cela, du même coup, sera vrai. 487Je réfléchis, en effet, que pour vérifier correctement si une âme vit bien ou mal, il faut avoir trois qualités, et que tu les possèdes toutes les trois : le savoir, la bienveillance et la franchise. Je rencontre souvent des gens qui ne sont pas capables de m’éprouver, faute d’être savants, comme tu l’es ; d’autres sont savants, mais ne veulent pas me

  1. Dans ce paragraphe et dans le suivant les souvenirs de l’Antiope se mêlent, plus ou moins littéralement, au texte. La traduction ne peut les indiquer que de façon approximative.