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GORGIAS

mes yeux, parce qu’un ramassis d’esclaves et de gens de toute provenance, des hommes sans valeur, sinon peut-être par la vigueur de leurs muscles, se seront réunis et auront prononcé certaines paroles, ces paroles seront des lois ?

Socrate. — Soit, très savant Calliclès. Ainsi c’est là ce que tu voulais dire ?

dCalliclès. — Absolument.

Socrate. — Eh bien, mon très cher, depuis longtemps, de mon côté, je supposais que tel était, dans ta pensée, le sens de l’expression « le plus puissant », et mon insistance à t’interroger venait de mon vif désir de savoir sans équivoque ce que tu pensais. Évidemment, en effet, tu ne juges pas que deux hommes soient meilleurs qu’un seul, ni que tes esclaves soient meilleurs que toi pour être plus forts. Mais, puisque « meilleur » n’est pas pour toi synonyme de « plus fort », reprends les choses de plus haut et dis-moi ce que tu entends par « meilleur ». Veuille seulement mettre plus de douceur dans ton enseignement, pour ne pas m’obliger à l’abandonner.

eCalliclès. — Tu te moques de moi, Socrate.

Socrate. — N’en crois rien, Calliclès ; j’en atteste Zéthos, dont tu empruntais tout à l’heure le personnage pour te moquer de moi tout à ton aise. Voyons : quels sont ceux que tu appelles les meilleurs ?

Calliclès. — Eh bien, ceux qui valent mieux.

Socrate. — Ne vois-tu pas que ce sont là aussi des mots, et que tu n’expliques rien ? Veux-tu me dire si ceux que tu appelles les meilleurs et les plus puissants sont les plus sages, ou d’autres ?


Le meilleur est le plus intelligent.

Calliclès. — Mais bien sûr, par Zeus, c’est de ceux-là que je veux parler, sans le moindre doute.

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Socrate. — Souvent donc, d’après toi, un seul homme raisonnable est plus puissant que des milliers d’hommes déraisonnables ; c’est à lui qu’il appartient de commander, aux autres d’obéir, et c’est à celui qui commande d’avoir la plus grosse part. Il me semble que telle est bien ta pensée, — car je ne fais pas la chasse à tel ou tel mot, — lorsque tu dis qu’un seul homme est plus puissant que des milliers.

Calliclès. — Oui certes, c’est bien là ce que je veux dire. Le droit selon la nature, d’après moi, c’est que le meilleur et