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GORGIAS

durant sa vie : il en admire la beauté et l’envoie aux îles des Bienheureux. Tel est aussi le rôle d’Éaque, qui juge, ainsi que Rhadamante, en tenant une baguette à la main. Quant à Minos, qui surveille ces jugements, il siège seul avec un sceptre d’or en main, comme nous l’apprend l’Ulysse d’Homère[1], dqui dit l’avoir vu

Un sceptre d’or en main, rendant la justice aux morts.

Pour ma part, Calliclès, j’ajoute foi à ces récits, et je m’applique à faire en sorte de présenter au juge une âme aussi saine que possible. Dédaigneux des honneurs chers à la plupart, je veux m’efforcer, par la recherche de la vérité, de me rendre aussi parfait que possible dans la vie et, quand viendra l’heure de mourir, edans la mort. J’exhorte aussi tous les autres hommes, autant que je le puis, et je t’exhorte toi-même, Calliclès, contrairement aux conseils que tu me donnes, à suivre ce genre de vie, à rechercher le prix de ce combat, le plus beau qui soit sur la terre, et je te blâme de ce que tu seras incapable de te défendre quand viendra pour toi le temps de ce procès et de ce jugement dont je parlais tout à l’heure ; je songe avec indignation que, lorsque tu comparaîtras devant le fils d’Égine pour être jugé, lorsqu’il te tiendra sous sa main, tu resteras bouche bée et la tête perdue, 527pareil là-bas à ce que je serais moi-même ici, et qu’alors tu t’exposeras à te voir en pleine déchéance souffleté et couvert d’outrages de toutes sortes.

Tu considères peut-être ces perspectives comme des contes de bonnes femmes, qui ne méritent que ton mépris ; et peut-être en effet aurions-nous le droit de les mépriser, si nos recherches nous avaient fait trouver quelque conclusion meilleure et plus certaine. Mais tu peux voir qu’à vous trois, qui êtes les plus savants des Grecs d’aujourd’hui, Gorgias, Polos et toi-même, bvous êtes hors d’état de démontrer qu’aucun genre de vie soit préférable à celui-ci, qui a en outre l’avan-

    respectivement dans la région du Sipyle, à Corinthe et en Eubée. Le passage de l’Odyssée (XI 576 sqq.), auquel Platon fait allusion, repose sur des conceptions étrangères aux poèmes homériques et paraît avoir été introduit tardivement.

  1. Homère, Od. XI 569.