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MÉNON

pour cela et qui font profession de l’enseigner à qui désire venir auprès d’eux pour l’apprendre ? N’est-ce pas la considération de ces circonstances qui devrait nous l’y faire envoyer ?

Anytos. — Oui.

Socrate. — Et de même pour l’art de la flûte ? Il serait absurde, si l’on voulait e qu’un homme apprît à jouer de la flûte, au lieu de l’envoyer chez ceux qui s’engagent à enseigner cet art et qui réclament pour cela un salaire, d’en embarrasser des gens à qui l’on irait demander des leçons qu’ils n’ont nullement la prétention de donner, des gens qui n’ont aucun disciple dans l’art que nous voudrions faire apprendre auprès d’eux à qui nous leur enverrions : ne trouves-tu pas que ce serait le comble de la déraison ?

Anytos. — Oui, par Zeus, et en outre le comble de l’ignorance !

Socrate. — À la bonne heure. Je vois maintenant que tu es homme 91 à tenir conseil avec moi sur le cas de notre hôte, Ménon. Voilà longtemps, Anytos, qu’il me répète combien il est désireux d’acquérir ce talent et cette vertu qui font qu’on gouverne bien sa maison et sa cité[1], qu’on honore ses parents, qu’on sait recevoir des concitoyens ou des étrangers et prendre congé d’eux comme il convient à un honnête homme. Vois, je te prie, à qui nous devons l’adresser b pour qu’il acquière ce talent : n’est-il pas évident, d’après ce que nous venons de dire, que c’est aux hommes qui se donnent pour des maîtres de vertu et qui offrent leurs leçons indistinctement à tous les Grecs désireux de les recevoir, moyennant un salaire fixé et perçu par eux ?

Anytos. — Et quels sont donc, Socrate, les hommes que tu veux dire ?

Socrate. — Ce sont, comme tu le sais certainement toi-même, ceux qu’on appelle les sophistes.

Anytos. — Par Héraclès, c Socrate, veille sur ton langage !

    cite encore pour sa richesse dans la République (I, 336 a) est vraisemblablement, en effet, celui qui avait pris à Thèbes la direction du parti antispartiate : il passait pour avoir touché, par l’intermédiaire du Rhodien Timocrate, l’or de la Perse, afin de susciter à Lacédémone des difficultés en Grèce (cf. Xén. Hell. III, 5, 1-2 et V, 2, 25-36 ; Hell. Oxyr. 12, 1 ; 13, 1).

  1. « Bien gouverner sa maison et sa cité », c’est la formule même