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PHÉDON

sent c prescrit, est-il accompagné, lui, d’un heureux espoir[1] ; et de même en est-il pour quiconque estime que sa pensée est prête et qu’il peut la dire purifiée. — C’est absolument certain, dit Simmias. — Mais une purification, n’est-ce pas en fait justement ce que dit l’antique tradition[2] ? Mettre le plus possible l’âme à part du corps, l’habituer à se ramener, à se ramasser sur elle-même en partant de chacun des points du corps, à vivre autant qu’elle peut, dans les circonstances actuelles aussi bien que dans celles qui suivront, isolée et par elle-même, d entièrement détachée du corps comme si elle l’était de ses liens ? — Absolument certain, fit-il. — N’est-il pas vrai que le sens précis du mot « mort », c’est qu’une âme est détachée et mise à part d’un corps ? — Tout à fait vrai ! — Oui, et que ce détachement-là, comme nous disons, ceux qui le plus l’ont toujours et qui seuls l’ont à cœur, ce sont ceux qui, au sens droit du terme, se mêlent de philosopher : l’objet propre de l’exercice des philosophes est même de détacher l’âme et de la mettre à part du corps. N’est-ce pas ? — Manifestement.

— Ne serait-ce donc pas, comme je le disais en commençant, une chose ridicule de la part d’un homme qui se serait préparé, sa vie durant, à rapprocher le plus possible sa façon de vivre de l’état où l’on est quand on est mort, de s’irriter ensuite contre l’événement e lorsqu’il se présente à lui ? — Une chose ridicule, à coup sûr ! — Ainsi donc, Simmias, c’est bien en réalité, dit-il, que ceux qui, au sens droit du terme, se mêlent de philosopher s’exercent à mourir, et que l’idée d’être mort est pour eux, moins que pour personne au monde, un objet d’effroi ! Voici de quoi en juger. S’ils se sont en effet de toute façon brouillés avec leur corps, s’ils désirent d’autre part que leur âme soit en elle-même et par elle-même, et que pourtant la réalisation de cela puisse les effrayer et les irriter, ne serait-ce pas le comble de la dérai-

  1. Dans Criton (52 bc, 53 a), les Lois disent à Socrate que jamais, sauf une fois, il ne s’est éloigné de la Cité sinon pour servir à l’armée ; qu’il n’y a pas d’impotent ou d’aveugle qui soit plus réfractaire à tout déplacement, si bien qu’à l’exil il a préféré la mort, dont l’Apologie parle aussi dans le même sens, 40 e. Cf. Phèdre 230 d.
  2. Cette antique tradition (cf. encore 63 c, 69 c, 70 c) est celle de l’Orphisme. Les Discours sacrés, d’où proviennent les Tablettes d’or