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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 1 (éd. Robin).djvu/128

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PHÉDON

-il. C’est comme tu dis. — Or donc, Simmias, ce qu’on appelle le courage ne convient-il pas aussi, au plus haut degré, à ceux dont les dispositions sont au contraire celles que je disais ? — Sans nul doute ! — N’en est-il pas de même pour la tempérance, et pareillement au sens ordinaire du mot tempérance ? Dans les désirs point de violents transports, une attitude au contraire dédaigneuse et prudente, est-ce que cela n’est pas propre à ceux-là seuls qui, au plus haut degré, ont le dédain du corps et qui vivent dans la philosophie ? — d Nécessairement, dit-il. — Et en effet, aie la bonté de réfléchir au courage, simplement, du reste des hommes ainsi qu’à leur tempérance, tu en verras toute l’étrangeté[1]. — Et comment cela, Socrate ? — Tu n’ignores pas, reprit-il, que la mort est tenue par tout le reste des hommes pour être au nombre des grands malheurs ? — Ah ! je crois bien ! — La crainte de maux plus grands ne détermine-t-elle pas ceux d’entre eux qui ont du courage à affronter la mort, quand il y a lieu de l’affronter ? — C’est cela ! — Ainsi, c’est en étant peureux et par peur que sont courageux tous les hommes, les philosophes exceptés. Et pourtant, il est irrationnel que la peur et la lâcheté puissent donner du courage ! — C’est e absolument certain ! — Passons à ceux d’entre eux qui ont de la prudence. Ne leur arrive-t-il pas, pareillement, qu’une sorte de dérèglement est le principe de leur tempérance ? Nous avons beau dire qu’il y a impossibilité à cela, mais c’est un fait pourtant qu’ils sont dans une situation analogue, avec leur niaise tempérance ! Car ils redoutent d’être privés de tels autres plaisirs dont ils ont envie, et, si de certains ils abstiennent, c’est qu’il y en a certains qui

  1. Tout le morceau concerne la conception populaire de la vertu (cf. 82 a fin). D’après cette conception est vertueux celui qui s’abstient d’une chose ou qui la fait en vue d’en obtenir ou d’en éviter une semblable. En ce sens le tempérant est celui qui s’impose la privation d’un plaisir pour en gagner un plus grand ou pour s’épargner une souffrance ; le courageux, celui qui, pour éviter de tomber aux mains de l’ennemi, préfère s’exposer à la mort comme à un moindre mal (69 a). Or, pour qui pratique cette sorte de vertu elle est une duperie, puisqu’il renonce à du plaisir pour n’avoir en échange que du plaisir, puisqu’il échange des risques contre d’autres risques. Cette