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PHÉDON

ble d et se laisser porter ainsi comme par un radeau, sur lequel on se risque à faire la traversée de la vie faute d’avoir la possibilité de faire route, avec plus de sécurité et moins de risques, sur quelque transport plus solide : je veux dire une révélation divine[1] ! À présent c’est donc entendu : je ne me ferai pas scrupule pour ma part de t’interroger, puisqu’aussi bien toi-même tu m’y invites, et je n’aurai pas non plus à me reprocher dans l’avenir de ne pas t’avoir dit aujourd’hui ce que je pense ! Car c’est vrai, Socrate : après l’examen auquel je viens moi-même de soumettre, ainsi que Cébès, les choses qui se sont dites, il ne m’apparaît pas du tout qu’on se soit exprimé de façon satisfaisante. » Alors e Socrate : « Peut-être bien en effet, camarade, es-tu dans le vrai en ayant cette impression. Mais dis-moi en quoi précisément tu n’es point satisfait.

— C’est, à mon sens, dit-il, en ce que précisément une harmonie[2] et une lyre avec ses cordes peuvent donner lieu à cette même argumentation : l’harmonie, dirait-on, est chose invisible, incorporelle, absolument belle, divine enfin, dans la lyre accordée ; 86 quant à la lyre elle-même et à ses cordes, ce sont des corps et des choses qui ont de la corporéité, des choses terreuses, apparentées à la nature mortelle. Supposons donc qu’on brise la lyre, qu’on en coupe et qu’on en fasse sauter les cordes ; puis, qu’on s’acharne à soutenir, avec une argumentation toute pareille à la tienne, que nécessairement elle subsiste, l’harmonie en question, et qu’elle n’est point détruite. Quel moyen en effet de faire subsister, et la lyre après que ses cordes ont sauté, et les cordes qui sont de nature mortelle, tandis que serait détruite l’harmonie, elle qui est de même nature et de même famille que le divin et l’immortel, b détruite même plus tôt que ce qui est mortel ? Non, dirait-on ; il est nécessaire que l’harmonie même existe encore quelque part, que le bois et les cordes tombent en pourriture avant qu’à elle rien lui arrive ! Aussi bien en effet, je m’en doute, Socrate, tu as pensé à part toi à une conception[3] de la nature

  1. Cette division sera rappelée 99 cd. Voir Notice, p. xlviii, n. 2.
  2. Traduction exigée par 95 c. Mais accord est le mot juste (cf. 93 ab), car notre harmonie se nomme en grec symphonie.
  3. Ce n’est pas une conception personnelle à Simmias, car Échécrate la connaît d’autre source (88 d). D’autre part elle semble être une extension de la doctrine médicale de Philo-