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PHÉDON

bien parler ? et que de pareilles choses fussent arrivées b au raisonnement si ce principe eût été juste, que l’âme est une harmonie ? — Non, pas le moins du monde, répondit-il.

— Et maintenant[1], dis-moi, reprit Socrate, de tout ce qui existe dans l’homme y a-t-il rien qui, d’après toi, ait l’autorité, sinon l’âme, et surtout selon son intelligence ? — Non, d’après moi, rien. — Et est-ce, d’après toi, l’âme qui cède le pas aux affections du corps, ou bien celle qui les contrarie ? Voici de quoi je veux parler : on a la fièvre par exemple, on a soif, et cette âme nous tire du sens opposé, « Tu ne boiras pas ! » ; on a faim, « Non, tu ne mangeras pas ! ». Et des milliers d’autres cas, où il est assez visible que l’âme contrarie c les affections corporelles[2]. N’est-ce pas vrai ? — C’est absolument certain. — Ne sommes-nous pas par contre tombés d’accord auparavant que jamais l’âme, en tant du moins qu’harmonie, ne pourrait chanter en opposition avec les tensions, les relâchements, les vibrations[3], et tout état quelconque par lequel passent ces composants dont il peut se faire qu’elle soit constituée, mais que bien plutôt elle les suit et ne peut en aucun cas les diriger ? — Nous en sommes tombés d’accord, répondit Simmias ; comment n’en eût-il pas été ainsi ? — Qu’est-ce à dire ? Ne voilà-t-il pas qu’à présent elle se montre à nos yeux en train de faire tout l’opposé, de diriger tous ces facteurs prétendus de sa constitution et de les contrarier en tout ou peu s’en faut, d toute la vie durant : prenant en tout l’attitude d’un maître ; usant, pour les réduire, parfois plutôt de rudesse et recourant à la souffrance comme font gymnastique et médecine, et plutôt parfois de moins de dureté, soit qu’elle menace ou qu’elle admoneste ; parlant enfin aux désirs, aux colères, aux craintes, comme s’ils étaient par rapport à elle une chose étrangère ? C’est à peu près

  1. On passe à l’examen du premier aspect (92 e sq.) de la thèse.
  2. C’est de la même façon que, Rep. IV, 439 b-d, Platon distingue dans l’âme entre les appétits et la raison. Mais là c’est la raison qui résiste ; ici c’est, sans distinction, l’âme, et c’est du corps que relèvent désirs, colères et craintes. Le Phédon définit en effet l’âme essentiellement par la pensée, et la division en trois parties, dont on peut soupçonner le germe à 68 b, apparaît comme une nouveauté dans la République (IV, 435 bc, 436 ab, 440 c-441 c).
  3. Avec la leçon des manuscrits on a un sens peu différent et très voisin de l’expression de la même idée, 93 a s. in.