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PHÉDON

bien dire tu verrais quelque chose d’utile, ce sera à toi de l’utiliser pour rendre convaincante ta propre thèse. — Mais oui, certes, c’est là ce que je veux, dit Cébès.

— Écoute donc, car c’est un exposé que je vais faire[1]. Eh bien ! quand j’étais jeune homme, poursuivit Socrate, ce fut merveille, Cébès, la passion que j’apportai à ce genre de savoir auquel on donne le nom d’enquête[2] sur la Nature. Je lui trouvais en effet une incomparable splendeur : il connaît les causes de chaque chose, en vertu de quoi chacune vient à l’existence, en vertu de quoi elle périt, en vertu de quoi elle existe ! Maintes fois il m’arrivait de me mettre la tête b à l’envers dans l’examen, premièrement[3] de questions comme celles-ci : Est-ce par l’effet d’une espèce de putréfaction, à laquelle participent le chaud et le froid, que, comme certains le prétendaient, se constituent les animaux[4] ? Ou encore, est-ce le sang qui fait que nous pensons, ou bien l’air, ou le feu ? Ou bien n’est-ce aucune de ces choses, mais plutôt le cerveau, en donnant naissance aux sensations de l’ouïe, de la vue, de l’odorat, desquelles résulteraient d’autre part la mémoire et le jugement, tandis que de la mémoire et du jugement, quand ils ont acquis la stabilité, se formerait par ce procédé un savoir[5] ? J’examinais aussi inversement la façon dont tout cela se corrompt, et puis ce qui se rapporte au ciel c comme à la terre. Et je finis ainsi par me faire

  1. Un exposé continu, et qui est pourtant partie intégrante de la réponse à Cébès. Sur l’historicité voir Notice, p. xvii.
  2. Proprement histoire, au sens global primitif du mot : c’est le nom que donne Héraclite à la science de Pythagore (fr. 129 Diels).
  3. La génération d’abord ; puis, plus bas, la corruption.
  4. Archélaüs d’Athènes (dont la tradition fait le premier maître de Socrate) mêlait l’Esprit d’Anaxagore à l’Air d’Anaximène, et en faisait naître le monde par condensation et raréfaction ; c’est ainsi que du froid se sépare le chaud, principe moteur dont ensuite l’action sur le limon de la terre produit, tous ensemble, les premiers vivants, qui sont nourris de ce limon.
  5. a) Pour Empédocle le sang est le plus parfait mélange, surtout près du cœur, des éléments qui constituent les objets de la connaissance, laquelle est assimilation du sujet à l’objet. — b) Diogène d’Apollonie, dont l’éclectisme rappelle Archélaüs, dérive de l’Air la pensée parce que, tant qu’on respire, on vit et on sent. — c) Héraclite la tire du Feu : l’âme la plus sèche, ou la plus ignée, est en