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NOTICE

nécessités vitales, sont pour les choix de la conscience des occasions et des instruments, soit du salut de l’âme, soit de sa ruine[1]. En somme, ces deux aspects pratiques du personnage, à l’inverse des précédents, s’accordent aisément à la situation. Ils s’accordent aussi avec le fait même de l’accusation : dans son groupe social, un Socrate prophète et apôtre devait passer pour impie et pour corrupteur de la jeunesse.

La question peut être encore envisagée d’un autre point de vue, et par rapport à l’existence même du cercle socratique ou, si l’on veut, à la nature du lien qui unit au Maître ses fidèles. Ceux-ci en effet viennent, semble-t-il, de tous les points de l’horizon philosophique dans la seconde moitié du ve siècle. Les uns, comme Simmias et Cébès, sont pythagorisants ; d’autres, comme Euclide, appartiennent à la famille éléatique ; Aristippe et l’inconnu relèvent de Protagoras et se rattachent à l’Héraclitéisme, comme d’ailleurs Platon lui-même dont Cratyle a été le premier maître[2] ; Antisthène est un élève de Gorgias. Au surplus, une fois Socrate mort, les divergences éclatent et des polémiques, souvent très âpres comme celle d’Antisthène et de Platon, mettent les disciples aux prises. Le lien qui les unissait, c’était donc la personne même de Socrate. Du vivant de celui-ci ils communiaient, non pas dans l’acceptation d’une doctrine philosophique, mais dans une sorte de culte sentimental à l’égard du caractère du Maître, dans la confiance en sa direction spirituelle. Voilà ce qui rapproche l’attachement fanatique d’un Apollodore de l’attachement terre à terre d’un Criton. Pour tous, sa conduite est un exemple surhumain ; sa pensée, un objet de méditation et d’examen. Telle est du moins l’impression qui se dégage du dialogue : par les sentiments, d’ailleurs remarquablement divers et nuancés, qu’elle suscite[3], elle détourne

  1. Par ex. 60 a (cf. p. 5, n. 2), 116 b ; 115 bc, 116 a, c ; 98 e sq. ; 116 e sq.
  2. Aristote, Metaph. Α 6, 987 a, 32 sq.
  3. L’état d’esprit des assistants se peint surtout dans les passages suivants : 58 e-59 b, de ; 61 c ; 62 a ; 64 ab ; 77 e sq. ; 95 ab ; 101 b ; 116 a ; 117 c-e. C’est pour ne pas attrister Socrate qu’ils hésitent à présenter des objections, 84 d. Si ces objections affligent ceux qui les entendent, ce n’est pas parce qu’elles contredisent des doctrines auxquelles ils seraient attachés ; c’est parce qu’elles leur semblent capables d’ébranler leur confiance en Socrate et la paix de leur admiration 88 b-89 a.