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EUTHYDÈME

Criton. — L’un et l’autre me sont inconnus, Socrate. Encore de nouveaux c sophistes, je suppose. De quel pays ? Et en quoi consiste leur savoir ?

Socrate. — Leur famille, je crois, est originaire de quelque part par là, de Chios, mais ils avaient émigré à Thurium[1]. Or ils ont été bannis de cette ville, et voilà bien des années qu’ils vivent dans nos régions. Quant à leur savoir, pour répondre à ta question, il est merveilleux, Criton. Ces deux hommes sont tout bonnement universels, et j’ignorais jusqu’ici ce qu’étaient les professionnels du pancrace[2]. L’un et l’autre pratiquent à souhait toutes les formes de lutte, mais non à la manière des deux frères Acarnaniens, ces champions du pancrace. Ceux-là d ne se sont montrés capables que de lutter avec leur corps ; il en est autrement de ceux-ci [3]. En premier lieu, ils excellent, par la vigueur physique et l’escrime, à triompher de tous les adversaires ; car ils ont eux-mêmes une science consommée du combat en armes, et le pouvoir de la communiquer à tout autre 272 moyennant salaire ; ensuite, s’agit-il de luttes judiciaires ? ils sont de première force pour les soutenir, et enseigner à autrui le secret de parler et de composer des discours appropriés aux tribunaux. Auparavant leur habileté n’allait pas au-delà ; mais maintenant ils ont mis le couronnement à l’art du pancrace. Le seul genre de lutte qu’il n’eussent pas encore essayé, ils l’ont aujourd’hui pratiqué à fond, si bien que pas un ne serait en état de lever même le poing sur eux, tant ils sont devenus experts à lutter en paroles, et à réfuter chaque propos, aussi bien le faux b que le vrai. Pour moi, Criton, j’ai l’intention de me remettre aux mains de ces deux hommes ; car il leur faudrait peu de temps, affirment-ils, pour rendre n’importe qui habile à ces mêmes exercices.

    mentionne un peu plus loin (IV, 12) celle de Clinias. La première interprétation nous paraît être cependant la plus probable.

  1. Thurium avait été fondé en 443, sur l’emplacement de la ville détruite de Sybaris, par une colonie panhellénique ; Périclès avait invité tous les Grecs à s’y joindre aux colons athéniens.
  2. Le pancrace était une combinaison du pugilat et de la lutte. Contrairement aux lutteurs, les pancratiastes poursuivaient le combat à terre, et il leur était permis de frapper des poings et des pieds. Dans Théocrite, XXIV, 14, ils sont appelés πάμμαχοι.
  3. Les deux sophistes sont des pancratiastes dans toute la force du