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EUTHYDÈME

dois mon savoir à une cause. — Est-ce toujours, dit-il, à cette même cause, ou tantôt à elle, et tantôt à une autre ?

— Toujours, dis-je, quand je sais, c’est grâce à elle. »

« Encore ! dit-il. Ne cesseras-tu point de parler à côté ? »

« Prenons garde pourtant que ce toujours b ne nous égare. »

« Pas nous, répondit-il, toi, peut-être. Mais réponds : dois-tu toujours ton savoir à cette cause ? — Toujours, dis-je, puisqu’il faut retrancher quand. — Tu le dois donc toujours à cette cause ; or, puisque tu sais toujours, dois-tu une partie de ce que tu sais à la cause de ton savoir et le reste à une autre, ou est-ce par elle que tu sais tout ? — Par elle, dis-je, absolument tout ce que je sais[1]. »

« Nous y voilà, dit-il ; encore les paroles à côté ! »

« Eh bien, dis-je, je retire ce que je sais. »

« Ne retire rien du tout, dit-il, je ne c te le demande point. Mais réponds-moi : pourrais-tu savoir tout en bloc, si tu ne savais toutes choses ? »

« Non, répondis-je, ce serait un prodige. »

Il reprit alors : « Ajoute maintenant ce que tu veux ; tu avoues tout savoir. »

« Apparemment, dis-je, si les mots ce que je sais n’ont aucune valeur ; je sais donc tout. »

« Et tu as reconnu aussi que tu sais toujours, grâce à la cause de ton savoir, soit quand tu sais, soit autrement, à ta guise : car, de ton propre aveu, tu sais toujours et tout à la fois. Il est donc clair que, même d enfant, tu savais, et à ta naissance, et quand tu as été engendré ; même avant ta propre naissance, avant celle du ciel et de la terre, tu savais tout, puisque tu sais toujours. Et j’ajoute, par Zeus ! que toi-même tu sauras toujours et toutes choses, si c’est ma volonté. »

« Puisses-tu le vouloir, répondis-je, très vénéré Euthy-

  1. Le sophiste veut faire dire à Socrate : je sais tout. Il glisse donc dans son raisonnement le mot πάντα, qui a l’air innocent, signifiant naturellement : tout ce que tu sais. Mais il entendra par là : tout ce qu’il est possible de savoir. Socrate, qui flaire l’équivoque, veut la prévenir par une réserve : du moins tout ce que je sais. Le sophiste s’en irrite d’abord, puis déclare que l’addition ne le gêne pas. Il s’arrange en effet pour que sa question : pourrais-tu savoir absolument tout ? recouvre la même équivoque. Il laisse Socrate libre de maintenir son addition, mais il se garde bien de la reprendre. Dès lors, son