Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome V, 2.djvu/104

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
398 b
73
CRATYLE

rencontre[1]. Notre poète et bien d’autres qui tiennent ce langage ont raison de dire qu’un homme de bien, après sa mort, obtient une haute destinée et de grands honneurs, et qu’il devient génie, suivant c le nom que lui vaut sa sagesse. En ce sens, j’admets à mon tour que tout homme de bien a le caractère d’un génie, vivant et mort, et que le nom de génie lui est justement donné.

Hermogène. — Moi aussi, Socrate, je crois être sur ce point pleinement d’accord avec toi. Et le héros, que peut-il être ?

Socrate. — Voilà qui n’est pas bien difficile à concevoir. Ce nom, dont la forme a été légèrement détournée, indique la naissance due à l’amour.

Hermogène. — Que veux-tu dire ?

Socrate. — Ne sais-tu pas que les héros sont des demi-dieux[2] ?

Hermogène. — Eh bien ?

Socrate. — d Tous, évidemment, sont nés de l’amour d’un dieu pour une mortelle, ou d’un mortel pour une déesse. Considère encore ce nom à la lumière de l’ancienne langue attique, et tu t’en rendras mieux compte : tu verras qu’il a été dérivé du nom de l’amour (érôs), auquel les héros ont dû la naissance, avec un léger changement pour la forme. Voilà comment il définit les héros, ou bien il veut dire qu’ils étaient savants, orateurs éloquents et bon dialecticiens, étant habiles à questionner (érôtân) et à parler (éïréïn), car éiréïn est synonyme de légéïn (dire). Comme nous venons de le dire, les héros, en langue attique, se trouvent e être des orateurs et des questionneurs habiles, si bien que la race héroïque devient une espèce de rhéteurs et de sophistes.

  1. Le mot δαήμων appartient surtout à la langue poétique. On le trouve chez Homère, mais il est rare en prose.
  2. Chez Homère ἥρως est une épithète honorifique, généralement appliquée aux personnages de l’épopée, non seulement aux rois et aux chefs, mais aux gens de leur entourage. L’aède Démodocos est un héros. La conception reprise ici par Platon est celle d’Hésiode, qui fait du héros un être intermédiaire entre le dieu et l’homme. Dans les Travaux, les hommes de la quatrième race, sont la race divine des héros que l’on appelle demi-dieux (v. 158-160). Tombés dans la guerre, devant Thèbes ou à Troie, ils habitent après leur mort les Îles des Bienheureux, au bord de l’Océan. — Le mot ἥρως signifie protec-