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CRATYLE

veau et ancien (néon te kaï hénon) à la fois, sélaénonéoaéïa est c le nom qu’il serait le plus légitime de lui donner ; mais, par contraction, on l’a appelée sélanaïa.

Hermogène. — Il a une allure dithyrambique, ce nom-là[1], Socrate ! Mais ceux du mois et des astres, qu’en dis-tu ?

Socrate. — Le mois (méïs)[2] serait justement appelé méïês, de méïousthaï (diminuer) ; quant aux astres, c’est de l’éclair (astrapê) qu’ils semblent tirer leur dénomination. L’éclair, qui fait détourner les yeux (anastréphéï ta ôpa), devrait s’appeler anastrôpê, mais on en a fait astrapê en l’enjolivant.

Hermogène. — Et le feu et l’eau ?

Socrate. — Le feu (pûr) m’embarrasse. d Il faut sans doute ou que la Muse d’Euthyphron m’ait abandonné, ou que ce mot soit des plus difficiles. Examine donc l’expédient que j’applique à tous les cas de ce genre qui me mettent dans l’embarras.

Hermogène. — Quel expédient ?

Socrate. — Je vais te le dire. Réponds-moi : pourrais-tu m’expliquer la formation du mot pûr ?

Hermogène. — Non, par Zeus ! pas moi.

Socrate. — Eh bien, examine ce que je soupçonne là-dessus, pour ma part. J’imagine que les Grecs, et notamment ceux des pays soumis e aux Barbares, ont emprunté aux Barbares un grand nombre de noms[3].

Hermogène. — Et alors ?

Socrate. — Si l’on en cherchait l’étymologie probable d’après la langue grecque, et non d’après celle dont le nom se trouve provenir, tu sais qu’on serait embarrassé.

Hermogène. — Vraisemblablement.

Socrate. — 410 Prends donc garde que ce nom de pûr ne soit, lui aussi, d’origine barbare. Il n’est pas facile de le rattacher à la langue grecque, et en outre on voit les Phrygiens désigner

    σεληναία (forme « dorienne » ), chez Euripide, Phén., 176, et Théocrite, II, 165.

  1. Par son ampleur et sa complexité, il rappelle les composés hardis dont la lyrique chorale fait si grand usage.
  2. Le nom qui désigne le mois a deux formes : μήν et μείς. Celle-ci se trouve non seulement en éolien, dans une partie du dorien et en ionien, mais même en attique. La première est néanmoins la plus usitée chez les prosateurs attiques.
  3. Cette hypothèse, que Socrate traite d’expédient, et qu’il rejettera plus loin, se trouve répondre à la réalité. Voir la Notice, p. 18.