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INTRODUCTION

l’injustice du criminel le rend vivant, alerte, toujours aux aguets. Ainsi l’âme, que ne détruit ni son mal propre ni le mal étranger, est nécessairement immortelle (611 a).

Cette immortalité entraîne deux conséquences. En premier lieu, le nombre des âmes existantes est constant : il ne peut diminuer, puisqu’elles ne meurent pas ; il ne peut augmenter, car ce ne serait qu’au dépens des choses mortelles, et, dans ce cas, tout deviendrait finalement immortel. D’autre part, comment dire immortelle une chose dont la composition serait multiple et grossière comme nous a paru celle de l’âme ? Or, elle est véritablement immortelle, le présent raisonnement le démontre, et nous en connaissons d’autres, aussi probants. Nous ne devons donc pas croire que cette existence actuelle de l’âme, enfoncée dans le corps et dans ses passions comme le dieu marin Glaucus dans les algues, les pierres et les boues sous-marines, nous la montre en sa véritable nature. Elle ne serait connaissable en son état pur que dégagée de cette gangue, mais, pour nous figurer cet état pur, nous n’avons qu’à considérer ses tendances et ses parentés intimes, toutes orientées vers le divin, l’immortel, l’éternel. Nous l’imaginerons alors telle qu’elle serait, au terme de cette poursuite et de cette assimilation : c’est à ce terme seulement que nous saurions si elle est composée ou simple et comment elle est constituée. Aujourd’hui, nous n’avions à étudier que sa vie dans le corps, et les effets que produit en elle, le désordre qu’y développe cette incorporation (612 a).

Platon, tout au long de sa République, n’a prétendu traiter que de politique, c’est-à-dire, d’après sa conception de la politique, de morale individuelle et sociale. Il ne pouvait donner un plus naturel et plus noble horizon à cette morale que celui de l’au-delà, où la justice trouve son achèvement et ses récompenses suprêmes. Il lui fallait démontrer l’immortalité de l’âme par une preuve issue du cœur même de cette aspiration vers l’éternelle justice, mais entrer dans une démonstration métaphysique de l’immortalité et dans une étude approfondie de la nature de l’âme eût été, dans un tel dialogue, un contresens littéraire. Sa preuve avait cependant besoin, pour ne pas sembler fragile ou incomplète en son isolement, du souvenir discret des autres preuves qui fondent cette immortalité, des inductions ou des analyses