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INTRODUCTION

εἴτε ὅπῃ ἔχει καὶ ὅπως, 612 a) ? Est-ce que Platon exclut ici une composition native, et dément-il d’avance le Phèdre et sa tripartition originelle ? Non : il nous dit simplement que l’aspect déformé de l’âme ne nous permet pas d’en juger, mais la multiplicité désordonnée que nous présentent ses deux symboles successifs, le monstre du Livre IX, le Glaucus du Livre X, pousse sur une composition normale. C’est la multiplicité désordonnée, ce n’est pas la composition normale qu’il lui importe ici de nier, puisque, dans le même instant où il constate qu’une multiplicité désordonnée exclut l’immortalité, il nous affirme que l’immortalité de l’âme est une chose prouvée (611 b)[1]. Rien ne nous empêche de penser que Platon ait travaillé au Phèdre tout en composant sa République, mais ce n’est certainement pas ce passage de la République qui peut, en excluant d’avance le mythe du Phèdre, nous contraindre à insérer chronologiquement le Phèdre avant le Livre X.


Les avantages
de la justice.

Au début du Livre II, Socrate avait placé la justice « dans la plus belle classe de biens, parmi ceux qu’il faut aimer pour eux-mêmes et pour leurs suites, si l’on veut être heureux » (358 a) et c’est provisoirement seulement, par raison de méthode, qu’il avait accepté de la dépouiller de ses avantages pour ne considérer que sa valeur interne (368 b/c). Le moment est venu de lui rendre ces avantages, qu’ils lui soient dus par les hommes ou les dieux, puisque, sûrs maintenant qu’elle s’impose par elle-même, nous n’avons plus à craindre que de tels avantages ne masquent son excellence propre et inamissible. Supprimons donc maintenant les hypothèses provisoirement accordées, et nions que l’homme juste puisse être méconnu, soit par les dieux, soit par les hommes. La divinité l’aime, puisqu’il ne cherche qu’à lui ressembler le plus possible, et tout ce qu’elle lui envoie, même l’infortune, n’est que pour son perfectionnement et sa félicité. L’estime des hommes, l’honneur, la gloire, finit toujours par cou-

  1. Sur l’interprétation de tout ce passage j’ai plaisir à constater mon accord substantiel avec P. Frutiger, Les Mythes de Platon. p. 76-96. Mais je crois qu’il accentue trop vivement la simplicité de l’âme dans l’argument du Phédon. Sur les rapports de celui-ci avec la République, cf. L. Robin, Phédon, p. 89, n. 3.