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LA RÉPUBLIQUE

Alors, dis-je, Polémarque est ton héritier ?

Sans doute, répliqua-t-il en riant ; et ce disant il s’en allait à son sacrifice.


eVI  Dis-nous donc, repris-je, toi l’héritier de la discussion, ce que dit Simonide de la justice et en quoi tu l’approuves.

Il dit qu’il est juste de rendre à chacun ce qu’on lui doit, et en cela je trouve qu’il a raison.

Assurément, repris-je, il n’est pas facile de refuser créance à Simonide : c’est un sage et un homme divin[1]. Mais que veut-il dire ? Tu le sais peut-être, toi, Polémarque ; mais moi je l’ignore. Il est évident qu’il n’entend pas, comme nous le disions tout à l’heure, que, si un homme a mis un objet en dépôt chez quelqu’un, et qu’il le réclame sans avoir sa raison, il faut le lui rendre[2] ; et pourtant un dépôt est chose due,332 n’est-ce pas ?

Oui.

Mais il faut bien se garder de rendre un dépôt, quand il est réclamé par un insensé ?

C’est vrai, dit-il.

Alors Simonide, semble-t-il, veut dire autre chose, quand il dit qu’il est juste de rendre ce qu’on doit ?

Il veut dire autre chose, c’est indubitable. Sa pensée c’est qu’à des amis l’on doit faire du bien, sans jamais leur faire de mal.


bLa justice consiste-
t-elle à faire du bien
à ses amis,
et du mal à ses
ennemis ?

Je comprends, dis-je : ce n’est point rendre à quelqu’un ce qu’on lui doit que de lui remettre l’or qu’il nous a confié, s’il ne peut le recevoir et le reprendre qu’à son préjudice, et si celui qui reprend et celui qui restitue sont amis. N’est-ce pas là, selon toi, la pensée de Simonide ?

  1. Cicéron s’est souvenu de ce passage. « Simonide », dit-il, « n’était pas seulement un poète charmant ; il passe aussi pour avoir été un savant et un sage ». De Nat. Deor. I, 22.
  2. Cf. Cicéron, De Officiis III, 25 : « Si un homme sain d’esprit t’a confié une épée en dépôt et la réclame étant devenu fou, tu serais coupable de la lui remettre, ton devoir est de la refuser. »