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LA RÉPUBLIQUE

Mais la justice n’est-elle pas la vertu des hommes ?

Il faut l’admettre aussi.

Par conséquent, cher ami, ceux d’entre les hommes à qui l’on fait du mal deviennent fatalement plus injustes.

Il paraît.

Mais un musicien peut-il en vertu de son art rendre ignorant dans la musique ?

Impossible.

Et un écuyer peut-il en vertu de son art rendre maladroit à monter à cheval ?

Ce n’est pas possible.

Et l’homme juste peut-il par la justice rendre un autre homme injuste, et en général les gens de bien peuvent-ils d par la vertu rendre les autres méchants ?

Non, cela ne se peut.

Ce n’est pas en effet, je pense, le fait de la chaleur de refroidir, mais de son contraire.

Oui.

Ni de la sécheresse de mouiller, mais de son contraire.

Assurément.

Ni de l’homme de bien de faire du mal, mais de son contraire.

Il y a apparence.

Mais l’homme juste est-il homme de bien ?

Sans nul doute.

Ce n’est donc pas le fait de l’homme juste, Polémarque, de faire du mal à son ami, ni à qui que ce soit, mais de son contraire, l’homme injuste,

e Il me semble, Socrate, que tu as tout à fait raison.

Si donc quelqu’un prétend que la justice consiste à rendre à chacun ce qu’on lui doit, et s’il entend par là que le juste doit du mal à ses ennemis, comme il doit du bien à ses amis, ce langage n’est pas celui d’un sage ; car il n’est pas conforme à la vérité ; en effet il nous a paru évident qu’en aucun cas il n’est juste de faire du mal à quelqu’un[1].

  1. La conclusion est belle, mais elle repose, comme la discussion avec Polémarque, sur un raisonnement sophistique. Maltraiter quelqu’un n’est pas nécessairement le rendre méchant. Si l’on ne doit pas faire de mal à un ennemi, ce n’est pas parce qu’on le rendrait pire, c’est parce qu’on se rendrait pire soi-même.