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LA RÉPUBLIQUE

J’attends d’avoir compris, dis-je, ce que tu veux dire ; pour le moment je ne comprends pas encore. La justice est, dis-tu, l’intérêt du plus fort : qu’entends-tu par là, Thrasymaque ? Tu ne veux pas dire, je suppose, que si, Poulydamas[1], le lutteur au pancrace, est plus fort que nous et qu’il lui soit avantageux, pour soutenir ses forces, de manger de la viande de bœuf, dle même régime soit aussi pour nous, qui lui sommes inférieurs, à la fois avantageux et juste ?

Tu me dégoûtes, Socrate ; tu prends les choses de manière à dénaturer totalement ma définition.

Pas du tout, excellent ami, répondis-je ; mais explique-toi plus clairement.

Eh bien ! ne sais-tu pas, dit-il, que les différents États sont ou monarchiques, ou démocratiques, ou aristocratiques ?

Sans doute.

Or dans tout État la force appartient au gouvernement constitué.

C’est certain.

eEh bien ! tout gouvernement établit toujours les lois dans son propre intérêt, la démocratie, des lois démocratiques ; la monarchie, des lois monarchiques, et les autres régimes de même ; puis, ces lois faites, ils proclament juste pour les gouvernés ce qui est leur propre intérêt, et, si quelqu’un les transgresse, ils le punissent comme violateur de la loi et de la justice. Voilà, mon excellent ami, ce que je prétends qu’est la justice uniformément dans tous les États : 339c’est l’intérêt du gouvernement constitué. Or c’est ce pouvoir qui a la force ; d’où il suit pour tout homme qui sait raisonner que partout c’est la même chose qui est juste, je veux dire l’intérêt du plus fort.

À présent, dis-je, j’ai compris ce que tu veux dire ; mais est-ce vrai ou non ? c’est ce que je vais tâcher d’examiner. C’est donc l’intérêt, Thrasymaque, qui est la justice : voilà ce que toi aussi tu as répondu, après m’avoir interdit cette réponse ; bil est vrai que tu as ajouté : du plus fort.

Addition négligeable apparemment ! ricana-t-il.

    règle de conduite individuelle qu’une théorie politique basée sur la pratique des États grecs, de l’État athénien en particulier, dont l’empire était fondé sur l’axiome : la force crée le droit.

  1. Poulydamas, de Scotoussa, en Thessalie, athlète gigantesque,