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Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VI.djvu/244

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LA RÉPUBLIQUE

Ainsi, quel que soit le sujet où elle réside, ville, nation, armée, société quelconque, il est évident que l’effet de 352l’injustice est d’abord de le mettre dans l’impuissance d’agir en accord avec lui-même par la dissension et la discorde qu’elle y suscite, et ensuite de le rendre ennemi de lui-même et de tous ceux qui lui sont contraires et qui sont justes. N’est-ce pas vrai ?

Si.

Ne se trouvât-elle que dans un seul individu, elle produira, je suppose, les mêmes effets[1], puisque c’est dans sa nature de les produire : tout d’abord elle le mettra dans l’impossibilité d’agir en excitant la discorde et la contradiction dans son âme, ensuite elle le rendra ennemi aussi bien de lui-même que des justes ; n’est-ce pas vrai ?

Si.

Mais, mon ami, les dieux ne sont-ils pas justes aussi ?

bSoit, dit-il.

S’il en est ainsi, Thrasymaque, l’homme injuste sera aussi l’ennemi des dieux, et le juste sera leur ami.

Régale-toi à ton aise de tes discours, dit-il ; je ne te contredirai pas : je ne veux pas indisposer contre moi la compagnie.

Et bien, allons ! repris-je ; sers-moi le reste du festin en continuant à répondre. Nous avons montré que les hommes justes sont plus sages, meilleurs et plus capables d’agir que les hommes injustes, que ceux-ci sont incapables d’agir de concert ; cet, si l’on dit qu’en dépit de leur injustice il s’en trouve qui aient parfois exécuté vigoureusement quelque entreprise en commun, nous affirmons que c’est une erreur totale ; car ils ne se seraient pas épargnés les uns les autres, s’ils avaient été tout à fait injustes, et il est évident qu’ils avaient en eux quelque justice qui les empêchait de se nuire les uns aux autres, dans le temps qu’ils nuisaient à

  1. L’idée que la justice présente dans l’individu le maintient en paix avec lui-même sera développée à la fin du livre IV, où Platon démontre que l’âme de l’individu, comme l’État, contient trois parties distinctes : raison, appétit sensitif, courage. Au livre IV, Platon décrit d’abord la justice dans l’État, puis la justice dans l’individu, parce que la vue de la justice dans un cadre plus large doit l’aider à la distinguer dans un cadre plus étroit. C’est la méthode qu’il suit