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LA RÉPUBLIQUE

pour le salaire et les autres avantages qui viennent à leur suite.

Il y a bien en effet, dis-je, cette troisième espèce ; mais où veux tu en venir ?

Dans laquelle, demanda-t-il, ranges-tu la justice ?

358Je la range pour ma part, dis-je, dans la plus belle, celle du bien qu’il faut aimer pour lui-même et pour ses suites, si l’on veut être heureux.

Ce n’est pas, dit-il, l’avis du vulgaire qui la classe dans les biens pénibles, ceux qu’il faut cultiver en vue du salaire et de la bonne renommée et pour sauver sa réputation, mais qu’il faut fuir pour eux-mêmes, à cause de la peine qu’ils exigent.


II  Je sais, dis-je, que c’est l’opinion du vulgaire, et il y a beau temps que Thrasymaque reproche à la justice d’être pénible, et réserve ses éloges à l’injustice ; mais moi, à ce qu’il paraît, j’ai la cervelle rétive.

bEh bien donc, reprit-il, écoute-moi à mon tour[1] ; peut-être seras-tu de mon avis. Je crois que Thrasymaque s’est rendu trop tôt, fasciné par toi comme un serpent. Pour moi, je ne suis pas satisfait de la manière dont l’une et l’autre thèse ont été défendues. Je veux savoir la nature de la justice et de l’injustice, et les effets que l’une et l’autre produisent par elles-mêmes dans l’âme où elles résident, sans tenir aucun compte des salaires et des conséquences qu’elles peuvent avoir. Voici donc ce que je vais faire, si tu le trouves bon. Reprenant l’argumentation de Thrasymaque, je dirai d’abord ce qu’est la justice, cselon l’opinion commune, et d’où elle tire son origine. Je ferai voir ensuite que ceux qui la pratiquent le font à contre-cœur, parce qu’elle est nécessaire, et non parce qu’elle est un bien ; enfin qu’ils sont logiques quand ils en usent ainsi, parce que la condition de l’homme injuste est bien meilleure que celle du juste, si on les en croit. Pour moi, Socrate, je ne partage pas cette opinion, bien que je sois trou-

  1. Thrasymaque est désormais condamné au silence, il ne dira plus que quelques mots incidemment. C’est désormais Glaucon et Adimante qui vont être les interlocuteurs de Socrate. Platon met ses frères à l’honneur, en leur donnant, à côté de Socrate, les rôles les plus importants dans le plus beau de ses ouvrages.