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LA RÉPUBLIQUE

Voici l’idée que je m’en fais, dis-je. Il faut toujours représenter Dieu tel qu’il est, quel que soit le genre de poésie, épique, lyrique ou tragique où on le mette en scène.

Il le faut, en effet.

bOr Dieu n’est-il pas essentiellement bon, et n’est-ce pas suivant cette idée qu’il en faut parler ?

Sans doute.

Mais rien de ce qui est bon n’est nuisible, n’est-ce pas ?

C’est mon avis.

Or ce qui n’est pas nuisible, ne nuit pas ?

En aucune manière.

Mais ce qui ne nuit pas fait-il du mal ?

Pas davantage.

Et ce qui ne fait aucun mal ne peut être non plus la cause d’un mal ?

Comment le pourrait-il ?

Mais quoi ! ce qui est bon n’est-il pas bienfaisant ?

Si.

Il est donc cause de ce qui se fait de bien ?

Oui.

À ce compte, ce qui est bon n’est pas la cause de tout ; il est la cause des biens, il n’est pas la cause des maux[1].

cC’est incontestable, dit-il.

Par conséquent, repris-je. Dieu, puisqu’il est bon, n’est pas non plus la cause de tout, comme on le dit communément ; il n’est cause que d’une petite partie des choses qui arrivent aux hommes, et il n’est pour rien dans la plus grande partie, car nos biens sont en fort petit nombre en comparaison de nos maux ; pour les biens, nul autre que lui n’en est l’auteur ; mais pour les maux, il faut en chercher la cause ailleurs qu’en Dieu.

  1. Avant Platon, Xénophane, Pindare et les poètes dramatiques avaient proclamé la bonté morale de la Divinité ; mais l’idée que Dieu, étant bon, ne peut être la cause du mal, est probablement due à Platon. Le vrai Socrate ne semble pas avoir mis en doute que Dieu est l’auteur du mal comme du bien. « Crois-tu, dit-il, que les dieux auraient mis dans l’esprit des hommes l’idée qu’ils sont capables de faire du bien et de faire du mal, s’ils n’en avaient pas le pouvoir ? » Xénophon, Mém. I, 4, 16.