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LA RÉPUBLIQUE

c« Hélas ! malheureuse que je suis ! hélas ! j’ai enfanté un héros pour le malheur ![1] »

Et s’ils représentent ainsi les dieux, qu’ils n’aient pas du moins le front de défigurer le plus grand des dieux au point de lui faire dire :

« Hélas ! c’est un homme qui m’est cher que mes yeux voient fuir autour de la ville, et mon cœur en est désolé[2] ! »

et ailleurs :

« Hélas ! hélas ! j’aime Sarpédon entre tous les hommes et la Parque dveut qu’il soit dompté sous les coups de Patrocle, fils de Menœtios[3]. »


III  Si en effet, mon cher Adimante, nos jeunes gens prenaient au sérieux de pareils discours, au lieu de s’en moquer, comme de faiblesses indignes des dieux, il leur serait difficile à eux qui ne sont que des hommes, de les croire indignes d’eux-mêmes et de se reprocher les propos ou les actes semblables qui pourraient leur échapper ; mais à la moindre contrariété, ils s’abandonneraient sans honte et sans courage aux plaintes et aux lamentations.

eC’est l’exacte vérité, dit-il.

Or cela ne doit pas être ; nous venons d’en voir la raison : il faut nous y tenir, jusqu’à ce qu’on nous en détourne par une meilleure.

Cela ne doit pas être en effet.

Il ne faut pas non plus que nos gardiens soient portés à rire ; car, si l’on se livre à un rire violent, il entraîne généralement un changement violent dans l’âme.

C’est ce qui me semble, dit-il.

Il est donc inadmissible qu’on représente des hommes respectables dominés par le rire, 389encore moins les dieux.

Encore moins, certainement, dit-il.

  1. C’est Thétis qui déplore la destinée d’Achille, son fils. Iliade, XVIII, 54.
  2. C’est Zeus qui s’afflige de la mort prochaine d’Hector. Iliade XXII, 168-169.
  3. C’est Zeus qui plaint son fils Sarpédon. Iliade, XVI, 439-444.