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XXX
INTRODUCTION

et les joies de l’esprit ne fut jamais son rêve ; aussi Glaucon l’estime-t-il ici grossière et niaise : « C’est une cité de pourceaux à l’engrais ! » (372 d). Il faudra donc le luxe, la peinture, tous les arts, et la terre deviendra trop petite : c’est la guerre, c’est l’armée. Une armée de métier, car, si le cordonnier ne peut se mêler de tisser la toile ou de bâtir des maisons sans gâcher tous ces métiers et le sien tout d’abord, comment songer à faire de bons soldats sans les spécialiser étroitement ? La cité civilisée veut des gardiens de profession (374 d).

Ce sont des chiens de garde : œil vif, jambes rapides, muscles robustes, colère prompte. Alors ils seront féroces ? Non : un bon chien de garde est philosophe à sa façon, car il est doux envers ceux qu’il connaît, et connaître, pour lui, c’est aimer. Comment dresserons-nous ces gardiens-nés, que caractérise l’heureuse alliance du courage et de la douceur ? Par les moyens traditionnels : nous formerons leur corps par la gymnastique et leur âme par la musique (376 e).


La réforme
de l’éducation.

La musique, le don des muses, c’est toute la culture de l’esprit, ce sont nos belles-lettres et nos beaux-arts. Rien de plus pénétrant que ce lent pétrissage de la pensée et du cœur, rien de plus puissant et de plus redoutable. Il commence dès le bas-âge, par des fables, et les Grecs étaient comme les autres hommes : ils restaient longtemps enfants. Homère, Hésiode, ont façonné l’âme de l’Hellade ; Héraclite et Xénophane l’ont dit longtemps avant Platon, et, longtemps avant lui, ils se sont emportés contre la domination incontrôlée et malfaisante de ces maîtres de fictions. Mais la critique de Platon va bien plus loin que les sarcasmes de ses devanciers. Il fonde une cité, il sait que la base la plus indispensable en est l’éducation de la jeunesse, il sait aussi, lui qui voit le salut suprême dans la science, chez combien d’hommes la science ne régnera que du dehors, par l’autorité d’une opinion bien établie, et combien, chez ceux mêmes qu’elle doit éclairer et régir du dedans, elle n’aura d’entrée et d’action facile que dans une âme déjà imbue, par des croyances et des habitudes persuasives, de l’amour et de l’instinct du vrai. Il faut, dira-t-il (402 a), que nos gardiens soient élevés dans une atmosphère saine, où, les yeux et le cœur toujours pleins