Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VI.djvu/406

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
407 c
125
LA RÉPUBLIQUE

Cela est inévitable, dit-il.

Aussi pouvons-nous affirmer que c’est parce qu’il savait cela qu’Asclépios n’a songé qu’à ceux à qui la nature et le régime ont fait une bonne santé det qui n’ont que des maladies localisées ; c’est pour ceux-là, c’est pour de telles constitutions qu’il a inventé la médecine ; c’est pour cela qu’il a traité les malades par des potions et des résections, sans changer leur régime habituel, afin que la république n’en souffrît aucun dommage ; mais à l’égard des sujets foncièrement et entièrement malsains, il n’a pas voulu leur prolonger une vie misérable par un lent régime d’évacuations et d’infusions, ni leur faire enfanter des rejetons qui naturellement seraient faits comme eux ; il n’a pas cru qu’il fallût soigner un homme incapable de vivre ele temps fixé par la nature, parce que cela n’est avantageux ni à lui-même, ni à l’État.

Tu fais d’Asclépios, dit-il, un politique.

Il est évident qu’il l’était, dis-je, et, si tu jettes les yeux sur ses enfants, tu verras qu’en même temps qu’ils combattaient vaillamment devant Troie, 408ils exerçaient la médecine comme je le dis. Ne te souviens-tu pas que, lorsque Ménélas fut frappé d’une flèche par Pandaros,

« ils sucèrent le sang de la blessure, et versèrent dessus des drogues émollientes[1] »,

sans lui prescrire, pas plus qu’à Eurypyle, ce qu’il fallait boire ou manger après, attendu que les drogues suffisaient à guérir des guerriers qui, avant d’être blessés, étaient sains et réglés dans leur régime, bmême s’il leur arrivait de boire dans le moment même le breuvage dont nous avons parlé. Mais pour un homme naturellement maladif et incontinent, ils ne croyaient pas qu’il fût avantageux ni pour lui ni pour les autres de prolonger sa vie, ni que l’art médical fût fait pour lui, ni qu’il fallût le soigner, fût-il plus riche que Midas[2].

À t’entendre, dit-il, les fils d’Asclépios étaient bien ingénieux.


  1. Iliade, IV, 218 αἷμ’ ἐκμηζήσας ἐπ’ ἄρ’ ἤπια φάρμακα εἰδὼς πάσσε. Homère parle de Machaon seul. Platon accommode le vers à son dessein et transforme le singulier en pluriel.
  2. Cf. Tyrtée, Eleg. III, 6-7

    Οὐδ' εἰ Τιθωνοῖο φυὴν χαριέστερος εἴη,
    Πλουτοίη δὲ Μιδεω καὶ Κὶνύρεω βάθιον.