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LA RÉPUBLIQUE

Forcément.

Or ce qu’un homme aime le mieux, c’est ce dont il est persuadé que l’intérêt se confond avec le sien, dont il considère la réussite comme la sienne, l’insuccès comme le sien.

C’est vrai, dit-il.

Nous choisirons donc entre tous les gardiens ceux qui, après examen, enous paraîtront les plus zélés à faire pendant toute leur vie ce qu’ils auront jugé utile à l’État, et qui à aucun prix ne consentiraient à faire ce qui est contraire au bien public.

Voilà bien les chefs qui conviennent, dit-il.

Il faut donc, ce me semble, les suivre dans les différents âges, pour s’assurer s’ils observent bien cette maxime, si aucune fascination, aucune violence ne leur fait abandonner et oublier la pensée qu’il faut faire ce qui est le plus avantageux à l’État.

Qu’entends-tu par cet abandon ? demanda-t-il.

Je vais te l’expliquer, répondis-je. Selon moi, une opinion nous sort de l’esprit avec ou contre notre assentiment ; 413avec notre assentiment, quand elle est fausse et qu’on nous en détrompe ; contre notre assentiment, toutes les fois qu’elle est vraie.

Pour celle que nous perdons volontairement, je te comprends ; mais à l’égard de celle que nous perdons involontairement, je te demanderai une explication.

Quoi donc ! dis-je, ne penses-tu pas comme moi que l’on renonce aux biens involontairement, aux maux volontairement ? Or n’est-ce pas un mal de se faire illusion sur la vérité, un bien d’être dans le vrai ? ou n’est-ce pas être dans le vrai que d’avoir des opinions justes ?

Tu as raison, dit-il ; et je crois que c’est malgré soi que l’on est privé de l’opinion vraie.

    celui que nous voyons dans les Lois 766 D. C’est la première fois, sauf l’allusion faite en passant 389 C, qu’il est question du gouverneur. Aux livres VI et VII, Platon le montrera qui, les yeux fixés sur l’Idée du bien, prescrit à chacun ce qui est son bien ou sa fin à lui. Il ne fait ici qu’effleurer le sujet, se réservant de le traiter plus à fond. Ceux qui tiennent pour l’unité de la République (Süsemihl, Zeller) s’appuient sur ce premier crayon du gouverneur qui annonce et prépare la peinture complète des livres VI et VII, tandis que les