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INTRODUCTION

cité à nous, telle que nous l’avons décrite ? Encore faudra-t-il veiller à faire, pour la philosophie, exactement le contraire de ce qui se fait à présent. On l’aborde en effet trop vite, au seuil de l’adolescence ; on la quitte trop tôt, avant d’en avoir pratiqué la partie essentielle, les exercices dialectiques ; on la traite comme un passe-temps, comme une façon distinguée d’occuper l’intervalle entre l’enfance et la vie active. Il faudrait, au contraire, ne donner à l’enfance qu’une philosophie élémentaire (μειρακιώδη παιδείαν καὶ φιλοσοφίαν), préparer les corps à supporter plus tard les travaux de l’esprit, et cultiver progressivement celui-ci jusqu’à l’heure où, la vie active terminée, on se consacrera tout entier à la philosophie (498 c). Ainsi Platon justifie à la fois le niveau inférieur où s’est tenue jusqu’ici l’éducation de ses gardiens et le plan supérieur où il va nous introduire en esquissant l’éducation des gouvernants.

La situation est donc nette. Toute politique sérieuse est reconnue impossible tant que durent les constitutions actuelles : comme dans le Gorgias (484/5, 510), les quelques rares sages échappés à la corruption sont condamnés à l’abstention. Mais ils sont là. On ne peut les confondre ni avec les dilettantes de la phrase, ni avec les disputeurs et les insulteurs de métier. Le peuple lui-même, dont l’âme est saine au fond, peut reconnaître un jour que, tout entiers consacrés à la vérité, ils sont seuls capables d’établir dans la cité quelque chose de cet ordre divin dont ils sont les contemplateurs. D’autre part, il n’est pas totalement impossible que des fils de rois ou de potentats naissent philosophes et, qui plus est, se conservent philosophes : n’y en eût-il qu’un, ce serait assez. Notre idéal est donc difficile à réaliser : il n’est pas un pur rêve (502 c). Nous regrettons parfois que Platon, comme le philosophe qu’il décrit, « ne fasse pas de personnalités » (500 b). Notre curiosité voudrait trouver des noms à ces dilettantes de la phrase, si proches parents d’Isocrate, mais aussi bien de Gorgias et de Protagoras ; à ces disputeurs et insulteurs du peuple, qui d’avance ressemblent tant aux Cyniques[1] ; à ces princes

  1. Dümmler (Chron. Beiträge, p. 8-15) croit que Platon vise ici surtout Isocrate et spécialement son Panégyrique ; 498 e peut s’appliquer à tous les émules de Gorgias, mais Isocrate en était le plus marquant. Il prendra même pour lui le mot sur les disputeurs (500 b) et y répondra dans l’Antidosis, 260 et suiv. Cf. Adam, ad loc.