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INTRODUCTION

ment de toute trace d’attache au réel qu’il paraît les volatiliser et les dénaturer.

Répondons tout de suite à ce dernier doute en observant d’abord que la métaphysique à laquelle Platon subordonne les sciences mathématiques tendra de plus en plus elle-même à se mathématiser, et que le Bien, qui est son terme et son pôle, s’exprimera, dans les dernières leçons de l’enseignement oral, par la notion même de l’Un. La tendance unifiante et collectivisante du rêve politique et le mathématisme croissant de la pensée métaphysique se rejoignent naturellement ainsi, dans la conception de cette harmonie universelle que réalise la totale emprise de l’Un sur le multiple : c’est par là que tend à se définir l’indéfinissable Bien. Ne nous étonnons pas non plus que Platon semble ici tellement dédaigner ce que nous appellerions la culture désintéressée de la science, le renoncement du spécialiste qui s’enferme dans sa discipline pour y chercher la vérité qu’elle seule peut livrer, et s’isole ainsi dans une abstraction au moins temporaire sans laquelle toute comparaison et toute synthèse serait vaine. Platon ne dresse pas ici des spécialistes, mais de futurs gouvernants. Qu’il comprenne cependant les spécialistes, non sans regretter un peu leur rétivité, qui, parfois, en écartant toute direction synoptique, compromet le progrès même de leur discipline, nous l’avons vu à propos de la stéréométrie. Qu’il les ait fréquentés, écoutés, exploités, tant d’allusions précises dans ses dialogues le prouvent, et sa dialectique même, dont les procédés ne font que prolonger et transposer ceux de la mathématique contemporaine. Ils les complètent aussi : la voie descendante de la dialectique, telle qu’il la décrit ici même, enrichira la méthodologie mathématique en y ajoutant la synthèse à l’analyse presque exclusivement pratiquée jusqu’alors. Mais, de ses gouvernants, Platon ne veut pas faire des spécialistes, pas plus qu’il n’en veut faire ou des disputeurs de métier ou de purs contemplatifs.

Plus encore, en effet, qu’il n’a senti le charme des mathématiques et peut-être lutté parfois pour s’y soustraire, il a senti le puissant attrait de la dialectique militante et, à d’autres moments, ces ravissements de la contemplation, que la dialectique ascendante offre de plus en plus vifs à chacun de ses paliers. Il a écrit l’Euthydème, il écrira le Parménide, de même que, après le Banquet, il composera un jour le