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LA RÉPUBLIQUE VI

ner à se façonner lui-même, crois-tu qu’il sera un mauvais maître de tempérance, de justice et des autres vertus civiles ?

Pas du tout, dit-il.

Mais si le peuple parvient à se rendre compte que nous lui disons la vérité sur les philosophes, egardera-t-il son hostilité contre eux et se méfiera-t-il encore de nous, quand nous disons que jamais un État ne connaîtra le bonheur, si le dessin n’en a pas été tracé par ces artistes qui travaillent sur le modèle divin ?

Il perdra ses sentiments hostiles, répondit-il, s’il se rend compte de la vérité ; 501mais de quelle manière crois-tu qu’ils traceront ce dessin ?

Ils prendront, repris-je, l’État et les caractères des hommes comme une toile, qu’ils commenceront par rendre nette, ce qui n’est pas très facile. En tout cas, tu penses bien qu’ils différeront dès l’abord des législateurs ordinaires en ce qu’ils ne consentiront à s’occuper ni d’un particulier ni d’un État, pour lui tracer des lois, que lorsqu’ils l’auront reçu net ou l’auront eux-mêmes rendu tel[1].

Et ils auront raison.


Le philosophe
modèlera l’État
sur l’idéal divin.

Cela fait, ne crois-tu pas qu’ils esquisseront le plan de la constitution ?

Sans doute.

bEnsuite, je pense, perfectionnant leur ouvrage, ils tourneront souvent les yeux de deux côtés, d’une part vers l’essence de la justice, de la beauté, de la tempérance et des autres vertus semblables, et d’autre part vers la copie humaine qu’ils en tracent, broyant et mêlant les couleurs humaines[2] suivant les professions et se guidant sur cet exemplaire qu’Homère[3], lorsqu’il le rencontre chez les hommes, appelle divin et semblable aux dieux.

Bien, dit-il.

  1. Cf. Lois 735 b-736 c où il est également question d’une purgation (κάθαρσις) initiale, et où Platon décrit plusieurs formes de purgation législative.
  2. Le mot ἀνδρείκελον, que j’ai traduit par couleurs humaines désignait en peinture la couleur de la chair, qui s’obtenait par un mélange de plusieurs couleurs ; il signifie ici la ressemblance avec l’humanité vraie.
  3. Homère Il. i, 131.