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LA RÉPUBLIQUE IV

La colère, dit-il, est forcément cette troisième partie.

Oui, dis-je, s’il nous apparaît que la colère est distincte de la raison, comme il nous est apparu qu’elle était distincte du désir.

Il n’est pas difficile de s’en assurer, dit-il ; car c’est une chose qu’on peut voir même dans les petits enfants : dès leur naissance ils sont pleins de colère[1], tandis que la raison me semble refusée à jamais bà quelques-uns et qu’elle se fait attendre chez le plus grand nombre.

Par Zeus ! m’écriai-je, c’est fort bien dit. On peut ajouter que les bêtes justifient ton observation, et l’on peut encore la renforcer du témoignage d’Homère que j’ai invoqué plus haut dans cet entretien :

« Ulysse se frappant la poitrine gourmanda son cœur en ces termes[2]. »

Car dans ce passage Homère a manifestement représenté, comme deux choses différentes dont l’une gourmande l’autre, la raison qui a réfléchi sur le meilleur et le pire, cet la colère qui est déraisonnable[3].

C’est bien cela, dit-il.


XVI  Nous venons de doubler le cap, non sans peine, dis-je, et nous voilà suffisamment d’accord sur ce point qu’il y a dans l’âme de l’individu les mêmes parties et en même nombre que dans l’État.

Cela est vrai.

N’est-ce pas dès lors une nécessité que, si l’État est sage, l’individu le soit de la même manière et par la même cause ?

Sans doute.

dEt si l’individu est brave, que l’État le soit de la même manière et par la même cause, et qu’en tout ce qui regarde la vertu il en soit de même pour les deux ?

  1. Mais non pas d’une colère qui s’indigne en faveur de la vertu.
  2. Homère, Odyssée XX 16.
  3. Platon reconnaît qu’au lieu d’être l’auxiliaire de la raison, la colère peut être déraisonnable chez l’homme fait, comme Ulysse, aussi bien que chez l’enfant. En réalité, la psychologie de Platon est ici incertaine et flottante. Le θυμοειδές dont il fait une des trois parties de l’âme, au lieu de la volonté, est d’après lui le principe du courage, bien que le courage soit une science ; c’est aussi la colère