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LA RÉPUBLIQUE VIII

aime les discours, bien qu’il ne soit pas du tout orateur. Un homme de cette sorte est dur pour les esclaves, 549au lieu de les mépriser comme fait celui qui a reçu une éducation parfaite[1] ; il est doux envers les hommes libres et fort soumis aux magistrats ; il aime le pouvoir et les honneurs ; mais il ne fonde point ses prétentions au commandement sur son éloquence ou toute autre qualité du même ordre, il les fonde sur ses travaux guerriers et ses talents militaires, et il est passionné pour la gymnastique et la chasse.

Voilà bien, dit-il, le caractère qui répond à cette forme de gouvernement.

Un pareil homme, repris-je, pourra bien en sa jeunesse mépriser les richesses ; bmais plus il avancera en âge, plus il les aimera, parce qu’il porte en lui des germes d’avarice et que sa vertu n’est point pure, à cause que le meilleur gardien lui a fait défaut.

Quel est ce gardien ? demanda Adimante.

La raison unie à la musique, répondis-je ; elle seule, en effet, par sa présence, conserve la vertu durant toute la vie dans l’âme qu’elle habite.

C’est bien dit, iit-il.

Et tel est, ajoutai-je, le jeune homme ambitieux, image de l’État timocratique.

En effet.

Voici, maintenant, repris-je, de quelle manière à peu près il se forme. Ce sera parfois cle fils encore jeune d’un homme de bien, citoyen d’un État mal gouverné, qui fuit les honneurs, les charges, les procès et tous les tracas de ce genre et qui consent à se diminuer pour éviter les ennuis.

De quelle façon se forme-t-il ? demanda Adimante.

Tout d’abord, dis-je, par les discours de sa mère qui se plaint que son mari n’a point sa place parmi les magistrats, ce qui la diminue auprès des autres femmes ; dqui le voit peu empressé à s’enrichir, incapable de lutter et de manier l’injure, soit en particulier dans les tribunaux, soit dans l’assemblée des citoyens, d’ailleurs peu sensible lui-même à tous

  1. Il semble que Platon se souvient ici de Thucydide, II, 62, 4. « L’ignorance heureuse engendre la fierté même chez un lâche ; le dédain est le propre de celui qui a l’intime conviction de sa supériorité sur l’ennemi. » (Trad. Zévort.)