Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome XIII, 1.djvu/172

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
329 e
35
LETTRE VII

De là, pas un capitaine de navire ne m’eût emmené, je ne dis pas contre la volonté de Denys, mais même à moins d’un ordre exprès d’embarcation émané de lui. Des marchands ou des chefs préposés aux frontières, il n’en est pas un non plus qui, me surprenant en train de quitter seul le pays, ne m’eût aussitôt arrêté et ramené à Denys, d’autant qu’alors se répandait un bruit nouveau et 330 tout contraire au précédent : Denys, disait-on, s’était épris d’une belle amitié pour Platon. En fait qu’en était-il ? Il faut bien dire la vérité. Avec le temps, il m’aimait sans doute toujours davantage à mesure qu’il se familiarisait avec mes manières et mon caractère, mais il voulait me voir montrer pour lui plus d’estime que pour Dion et croire à son amitié beaucoup plus qu’à celle de Dion. Il est merveilleux comme il y mettait son point d’honneur. Mais il hésitait à prendre pour cela le moyen qui eût été le plus sûr, si cela eût dû se faire, c’est-à-dire à me fréquenter en qualité de disciple et d’auditeur de mes leçons philosophiques : b il craignait, suivant les propos des calomniateurs, que cela ne diminuât de quelque façon sa liberté et que ce ne fût Dion qui eût tout machiné[1]. Pour moi, j’endurais tout, fidèle au premier dessein qui m’avait amené, au cas où le désir de la vie philosophique viendrait à s’emparer de lui. Mais ses résistances l’emportèrent.


Conseils de Platon.

Voilà donc à travers quelles vicissitudes s’écoula la première période de mon arrivée et de mon séjour en Sicile. Ensuite je partis[2], c mais revins encore sur les demandes empressées de Denys. Combien furent raisonnables et justes mes motifs et toutes mes actions ? Mais avant de vous le conter, je vous donnerai mes conseils et vous exposerai ce qui est à faire dans la situation présente, remettant à plus tard de répondre à ceux qui m’interrogent sur mes intentions en venant une seconde fois, pour que

  1. Philistos et les adversaires des réformes, voyant l’autorité grandissante de Platon, redoutèrent des changements dont ils seraient les premières victimes. Ils finirent par persuader Denys que Dion intriguait. Il se servait, prétendaient-ils, de l’éloquence de Platon pour le dégoûter, lui Denys, du pouvoir, et il voulait l’amener à abdiquer en faveur de ses propres neveux, les fils de sa sœur Aristomachè. Voir 333 c et Plutarque, Dion, c. 15.
  2. Platon abrège le récit de son deuxième voyage en Sicile. En