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LETTRE VII

c’est Denys que je dois remercier : plusieurs voulaient ma mort ; il s’y opposa et montra un soupçon de pudeur à mon égard.


Second voyage sous le règne de Denys II.

À mon arrivée, je crus devoir b d’abord m’assurer si Denys était réellement feu et flamme pour la philosophie, ou si tout ce qu’on avait raconté à Athènes n’avait aucun fondement. Or, il y a, pour cette épreuve, une méthode qui est assez élégante. Elle convient parfaitement, appliquée aux tyrans, surtout s’ils sont remplis d’expressions philosophiques mal comprises comme c’était tout spécialement le cas de Denys, je m’en aperçus aussitôt : il faut leur montrer ce qu’est l’œuvre philosophique dans toute son étendue, son caractère propre, ses difficultés, c le labeur qu’elle réclame. L’auditeur est-il un vrai philosophe, apte à cette science et digne d’elle, parce que doué d’une nature divine ? La route qu’on lui enseigne lui paraît merveilleuse ; c’est tout de suite qu’il doit l’entreprendre, il ne saurait vivre autrement. Alors, redoublant par ses efforts les efforts de son guide, il ne lâche pas avant d’avoir pleinement atteint le but ou gagné assez de force pour se conduire sans son instructeur. C’est dans un tel état d’esprit que vit cet homme : d il se livre sans doute à ses actions ordinaires, mais en tout et toujours, il s’attache à la philosophie, à ce genre de vie qui lui donne, avec l’esprit sobre, une intelligence prompte et une mémoire tenace, ainsi que l’habileté dans le raisonnement[1]. Toute autre conduite ne cesse de lui être en horreur. Mais ceux qui ne sont pas vraiment philosophes et se contentent d’un vernis d’opinions, tels les gens dont le corps est bruni par le soleil, voyant qu’il y a tant à apprendre, tant à peiner, considérant ce régime e quotidien, le seul assez réglé pour convenir à cet

  1. Tout ce passage rappelle les développements du livre VII de la République. Là aussi, après avoir défini la philosophie comme une conversion de l’âme vers des régions de lumière : …ψυχῆς περιαγωγὴ ἐκ νυκτερινῆς τινος ἡμέρας εἰς ἀληθινήν, τοῦ ὄντος οὖσαν ἐπάνοδον… (521 c), Platon prône, pour aboutir au terme désiré, une route difficile et pénible (…ἀλλὰ πάμπολυ ἔργον λέγεις… objecte Glaucon, 531 d), une méthode qui consiste à former le disciple aux sérieuses disciplines scientifiques : arithmétique, géométrie, astronomie, harmonie. Cette voie dégagée de tout empirisme habituera l’esprit à s’élever jusqu’aux principes rigoureusement nécessaires.