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NOTICES

sagesse auront le courage de persévérer. Telle fut la méthode que suivit Platon à l’égard du prince. Mais ce dernier n’avait ni assez d’énergie, ni assez de modestie pour plier son âme à un régime moral et intellectuel supérieur à sa nature. Il se contenta de phrases mal comprises, et bientôt, dans sa naïve fatuité, s’imaginant maître à son tour, il voulut exprimer sa doctrine dans une sorte de manuel. En tout cas, s’écrie Platon, je puis affirmer que dans cet ouvrage, comme dans tous ceux de ces gens vaniteux qui font les compétents, on ne trouvera rien absolument de mon propre enseignement : ni Denys, ni les autres ne peuvent avoir compris, à mon sens, quoi que ce soit. Moi-même, je n’ai jamais écrit sur pareils sujets[1], car il n’y a pas moyen de les mettre en formules, comme on fait pour les autres sciences. N’y aurait-il pas dans cette affirmation paradoxale une large part d’outrance ironique ? Du reste, Platon ne dit pas qu’il n’a rien écrit, mais rien sur les sujets exposés par Denys. Or, Denys prétendait savoir et livrer au public les connaissances les plus sublimes (τὰ μέγιστα, 341 b). Voilà ce que Platon ne peut admettre. L’auteur du Phédon n’avait-il même pas suggéré que la vraie science, nous ne l’aurons qu’après la mort ? (66 e. Voir 67 a, b). Et le Timée ne faisait-il pas l’aveu que « découvrir l’auteur et le père de cet Univers, c’est un grand exploit, mais qu’il est impossible de le divulguer à tous quand on l’a découvert » ? (28 c). La philosophie qui est une manière de vivre et une habitude d’esprit, qui est vision du réel, ne peut être monnayée en série d’aphorismes. C’est seulement en vivant de la vie du maître et sous son influence que tôt ou tard l’âme du disciple s’illumine, s’échauffe et s’ouvre enfin à la vérité. La philosophie est affaire d’éducation : le maître ne communique pas la science ; il aide à la posséder. — Tout ce passage est écrit dans l’esprit du VIe livre de la République où Platon trace le rôle du maître, qui n’est pas de faire voir,

  1. Un faussaire se serait-il avisé d’écrire pareille phrase ? N’aurait-il pas redouté de se trahir trop ouvertement devant les lecteurs des Dialogues ? Le plagiaire qui a composé la 2e lettre l’a pensé, lui, et il a jugé nécessaire d’expliquer la malheureuse phrase : « Il n’y a pas d’ouvrage de Platon et il n’y en aura pas. Ce qu’à présent l’on désigne sous ce nom est de Socrate au temps de sa belle jeunesse » (314 c).