Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome XIII, 2.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
320 c
101
MINOS OU SUR LA LOI

Hésiode dit aussi des choses semblables de Minos, car faisant mention de son nom, dil ajoute :

C’est lui qui fut le plus royal des rois mortels ;
Il commandait aux foules d’hommes qui l’entouraient
Armé du sceptre de Zeus, Avec ce même sceptre il régnait aussi sur les cités[1].

Or, Hésiode n’entend pas autre chose, par ce sceptre, que l’enseignement de Zeus qui servait à Minos pour régenter la Crète.

Le disciple. — Mais alors, pourquoi donc, Socrate, s’est répandue cette renommée d’un Minos grossier et dur ?

eSocrate. — Pourquoi ? Pour une raison qui t’enseignera, mon bon ami, si tu es sage, toi et quiconque a souci de sa réputation, à prendre bien garde de ne jamais encourir la haine d’aucun poète. Les poètes, en effet, peuvent beaucoup pour la réputation des hommes en quelque sens qu’ils en parlent dans leurs poèmes, soit qu’ils les louent soit qu’ils les blâment. Or, Minos commit une faute en faisant la guerre à cette ville[2] où abondent, parmi toutes sortes de sages, des poètes en tout genre, mais principalement des poètes tragiques. La tragédie est ancienne ici ; elle ne commence pas, comme on croit, 321à Thespis et à Phrynichos[3], mais si tu veux y réfléchir, tu verras qu’elle est une invention tout à fait ancienne de notre cité. Or, de tous les genres de poésie, la tragédie est la plus populaire et la plus puissante sur les âmes. Aussi est-ce dans la tragédie que, mettant en scène Minos, nous nous vengeons de ces impôts qu’il nous força à payer. Ce fut donc la faute de Minos d’encourir notre haine, et voilà comment s’est produite cette mauvaise réputation dont tu demandais la cause. Mais que, bon et juste, comme il l’était, bil ait été comme nous le disions tout à l’heure, un excellent législateur, la meilleure preuve en est que ses lois

  1. Ces vers n’ont pas été conservés ailleurs et on ne sait d’où ils sont tirés. Plutarque (Thésée c. 16) semble y faire allusion : Καὶ γὰρ ὁ Μινως ἀεὶ διετέλει κακῶς ἀκούων καὶ λοιδορούμενος ἐν τοῖς Ἀττικοῖς θεάτροις. Καὶ οὔτε Ἡσίοδος αὐτὸν ὤνησε, βασιλεύτατον προσαγορεύσας.
  2. Il s’agit d’Athènes.
  3. Thespis et Phrynicos représentent les deux premières générations de poètes tragiques (vie s.). Du second la Prise de Milet était célèbre, et causa une grande émotion parmi les Athéniens, irrités de