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ÉRYXIAS

qu’il faut faire des richesses, oui, pour eux, elle est un bien, mais, pour les méchants, pour ceux qui ne savent pas, elle est un mal. Il en est ainsi de toutes choses, ajouta-t-il : tant valent ceux qui s’en servent, tant nécessairement valent pour eux les choses. Et le vers d’Archiloque me paraît bien juste :

Aux sages, les choses sont ce qu’ils les font[1].

398Par conséquent, dit le jeune homme, si on me rend sage de cette sagesse qu’ont les gens de bien, on devra forcément rendre bonnes pour moi toutes choses, sans se préoccuper d’elles le moins du monde, mais par le simple fait d’avoir changé mon ignorance en sagesse. Ainsi, fait-on de moi présentement un grammairien ? on me rendra nécessairement toutes choses grammaticales ; si c’est musicien, elles deviendront musicales, et de même, quand on fait de moi un homme de bien, bon rendra également toutes choses bonnes pour moi ». Prodicos n’admit pas le dernier exemple, mais il convint des premiers[2]. « Te semble-t-il, demanda le jeune homme, que c’est une œuvre d’homme d’accomplir de bonnes actions, comme de bâtir une maison ? ou, nécessairement, telles ont été les actions dès le début, bonnes ou mauvaises, telles doivent-elles rester jusqu’à la fin ? » — Prodicos me parut soupçonner où tendait très habilement le discours. Pour ne pas avoir l’air d’être confondu devant tout le monde par un jeune homme, — car subir seul cette défaite lui était indifférent —, il répondit que c’était une œuvre d’homme. — « Et crois-tu, reprit le jeune homme, que la vertu puisse être enseignée ou qu’elle soit innée ? » — « Je crois qu’on peut l’enseigner ». — « Dès lors, tu regarderais comme un sot celui qui s’imaginerait, en priant les dieux, devenir gram-

  1. Archiloque de Paros est un poète iambique qui vécut dans la première moitié du viie siècle. Voici le passage d’où est extrait le vers cité par l’auteur du dialogue :

    Τοῖος ἀνθρώποισι θυμός, Γλαῦκε, Λεπτίνεω πάι,
    γίγνεται θνητοῖσ’, ὁκιοίην Ζεὺς ἐφ’ ἡμέρην ἄγῃ
    καὶ φρονεῦσι τοῖ’ ὁκοίοισ’ ἐγκυρέωσιν ἔργμασιν.

    (Antholog. Lyrica, Hiller, Teubner, fg. 66, 67).
  2. Prodicos admet que les objets constituant la matière de la science grammaticale ou de la science musicale ne sont objets de science que pour les musiciens ou pour les grammairiens, mais il refuse d’étendre cette concession au bien ou au mal moral, car ce