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ÉRYXIAS

les autres hommes sur la nature de la richesse : posséder beaucoup de biens, voilà ce que c’est que d’être riche. Et je suppose que Critias ne pense pas autrement là-dessus ». — « Même en ce cas, continuai-je, il resterait encore à examiner quels sont les biens, de peur que, sous peu, vous ne vous trouviez de nouveau en désaccord sur ce sujet. Par exemple, voici la monnaie dont se servent les Carthaginois : ils cousent dans un petit sac de cuir 400un objet de la grandeur environ d’un statère[1]. Nul ne connaît la nature de l’objet ainsi cousu, sauf ceux qui l’ont fait ; ensuite, ils mettent le sceau légal et utilisent l’objet comme monnaie. Qui en possède la plus grande quantité croit posséder le plus de biens et être le plus riche. Mais chez nous, qui en aurait beaucoup ne se trouverait pas plus riche qu’avec force cailloux de la montagne. À Lacédémone, on emploie comme monnaie des poids de fer, et de fer inutile[2] : bcelui qui possède une masse considérable de ce fer s’imagine être riche. Ailleurs, cela ne vaudrait rien. En Éthiopie, on se sert de pierres gravées dont un Laconien ne saurait faire aucun usage. Chez les Scythes nomades, si on possédait la maison de Poulytion, on ne passerait pas pour plus riche que si chez nous on possédait le Lycabette. cIl est donc évident que ces divers objets ne peuvent être des biens, puisque, avec eux, il y a des gens qui n’en paraîtraient pas plus riches. Mais quelques-uns sont des richesses pour certains et ceux qui les possèdent sont riches ; pour les autres, ce ne sont pas des richesses et ils ne rendent pas plus riches : ainsi le beau et le laid ne sont pas les mêmes pour tous, mais varient suivant chacun. Et si

  1. Le statère était le double de la drachme. — Carthage est restée longtemps sans frapper elle-même sa monnaie d’or et d’argent. D’après Lenormant, elle ne commença à frapper chez elle des pièces d’or que vers 350 (La Monnaie dans l’antiquité I, p. 266). — « Ex omnibus causis, écrit Eckel, apparet, Carthaginienses liberos moneta signata non fuisse usos, sed aurum, argentum, aes mercis loco fuisse… » Puis, après avoir rapporté le témoignage de l’Éryxias, il ajoute : « Haec narratio etsi fabulae uideatur propior, cum alioqui is dialogus inter Platonis nothos referatur, tamen ne fingi quidem istud potuisset si qua cognita fuisset eius populi signata pecunia. Ceterum Aristides quoque auctor est, Carthagine numos scorteos ualuisse » (Doctrina Numorum ueterum, IV, p. 137).
  2. Cf. Xénophon, Lacedaem. Reipubl. VII, 5 ; Plutarque, Lycurgue,